la marge.

La marge, c'est autant un lieu d'observation, d'annotation et de commentaires qu'un endroit qui nous sépare du monde, tout en nous y incluant. Bref ma safe-place.

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Par Laurie Planes
14 avr. · 4 mn à lire
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Tu peux sortir la fille du Sud, mais tu ne sortiras jamais le Sud de la fille.

Cet épisode sent bon l’écume marine puisqu’il a été soudainement inspiré par un déplacement professionnel dans un de mes endroits préférés. Imaginez la chaleur du soleil sur votre visage, et l’harassant cri des mouettes dans vos oreilles. La marge #15, elle, chante le Sud.

Ce que j’aime le plus avec le fait d’avoir ma propre newsletter, c’est sa capacité à surprendre mon inspiration. Je dois avouer que parfois, je panique. Il ne s’est pas forcément passé quelque chose dans ma semaine, je n’ai pas déclenché de profonde réflexion solitaire et je me demande bien ce que je vais pouvoir vous raconter sans brasser de l’air. Et puis d’autres fois, les idées se bousculent. À vrai dire, elles me fracassent pratiquement. Comme pour celle-ci d’ailleurs. 

Il y a quelques jours, je me suis rendue à Biarritz pour un reportage gourmand autour du gâteau basque traditionnel - oui, je sais choisir mes sujets - et le second jour, alors que « tout était dans la boite » et que mon binôme avait d’ores et déjà repris la route… j’ai profité de quelques éclaircies dans un temps gris et brumeux (on vous voit ceux qui disent qu’il fait toujours beau dans le Sud ) pour admirer la Grande Plage, depuis les hauteurs. Je savais qu’il devait faire moche et j’étais partie pour me poser dans un café, puis le soleil a pointé le bout de son nez et j’ai accouru regarder l’océan de la manière la plus instinctive et naturelle du monde. Je suis restée là, avec ma valise et mes deux sacs, debout pendant une bonne heure. Ce n’était même pas le meilleur spot d’observation que j’ai pu avoir dans le coin, mais c’était sur le pouce et ça m’a suffit. 

J’ai observé tous les éléments de la peinture vivante qui se présentait devant moi. Le phare, iconique et modeste, les surfeurs qui attendaient les vagues qui ne venaient pas, les chiens qui couraient et aboyaient sur la plage, la danse énergique des mouette dans le ciel et l’écume des mouvements de l’eau qui embrassaient sable et rochers. J’écoutais pour la vingtième fois « Jour 1 - Birthday Party Version » lancée le jour même par ma Sag Queen préférée quand soudain j’ai entendu une petite voix discrète derrière moi. « Vous aimez Biarritz ? »

Un petit monsieur de 92 ans entiché d’un béret vert kaki se trouvait tout près de moi, avait repéré la valise dorée (les vrais savent) et avait probablement envie de discuter à cet instant. Je ne suis pas spécialement un modèle de sociabilisation (surtout quand j’ai commencé ma journée de tournage à 7h du matin SANS petit-déjeuner) mais je lui ai trouvé quelque chose de très attendrissant. J’ai eu droit à un petit cours privé de faits historiques sur la ville. Vous saviez, vous, qu’à la fin des années 1800, on y pêchait la baleine au harpon ? Que Napoléon III aimait bien s’y faire dorer la pilule ? Que Ravel a probablement composé son Boléro dans le coin, et que Louis XIV s’était marié à Saint Jean de Luz ? Mais plus encore que les faits, mon guide improvisé a admis avoir énormément voyagé, bien que biarrot depuis trois ou quatre générations. Et le voir ici, à faire sa petite marche tranquille de fin de matinée, mains croisées dans le dos, prêt à discuter avec une parfaite inconnue… m’a fait avoir un déclic. Ne serions-nous pas, depuis toujours et à jamais, des enfants du soleil ? 

Mi figue, mi raisin. 

J’aime profondément Paris. J’y vis désormais depuis dix ans et je ne cesse de m’émerveiller chaque jour devant ses couleurs et son charme. Je ne fais définitivement pas partie de ces provinciaux qui regrettent, qui se plaignent d’y être pour des raisons professionnelles et qui ragent sans pour autant la quitter une bonne fois pour toutes pour ENFIN nous laisser tranquilles. Mais j’avoue que j’ai un don pour romantiser les choses alors je fais surtout en sorte que ce soit le cas. Je suis ma propre Emily, avant Emily, capable de savourer « Midnight » à Paris sans qu’il ne soit minuit, et reconnaissante envers la ville qui a vu naître celle que je suis vraiment.

Cependant… je suis une fille du Sud. Et il y a des choses qui ne me quitteront pour ainsi dire,  jamais. À commencer par mon accent. Ils l’aiment autant qu’ils le moquent, les gens à Paris. Ils disent qu’il leur ramène le soleil, tandis que de mon côté je serre toujours la mâchoire, poliment. Ce n’est pas leur faute si lors de mon arrivée dans la capitale en 2014, j’ai observé un phénomène dérangeant qui a amorcé chez moi des mécanismes de défense. Durant ma formation en journalisme, plus précisément lors de la session radio, mes intervenants ont légèrement moqué ma voix, me reléguant un peu trop facilement à l’exercice de la météo ou des informations sportives. Les clichés ont la vie dure, pas vrai ? Bien qu’il ne faille pas faire de généralisation, c’est depuis ce jour-là que j’ai compris que pour certaines personnes la forme pouvait prendre le dessus sur le fond. C’est léger, exotique, ensoleillé. Trop pour être pris au sérieux. Féministe et ambitieuse, j’ai dès lors entamé un travail - que je n’aurais peut-être pas du finalement - pour modérer les sonorités qui sortent de ma bouche, lasse que devant une présentation professionnelle où je me devais de convaincre par mon savoir et mon engouement, on m’interrompt avec le fameux « oh mais il vient d’où ce petit accent ? ». L’impression d’être rangée dans une case prédéfinie sans aller plus loin ou d’être décrédibilisée dans un milieu de requins m’est insupportable. Mais la vérité, c’est qu’après plusieurs années, j’ai appris à ne pas me laisser démonter et à ne plus relever ce genre de remarques. L’accent chantant est amoindri mais toujours présent, pour ma plus grande fierté. Je ne m’agace plus des moqueries affectueuses, peut-être cachent-elles parfois, une envie inavouée de jouer sur les mêmes partitions. Mais on ne va pas se mentir, la dualité demande une légère souplesse qui peut prendre plusieurs années à s’acquérir.

Le Sud, c’est le feu dans mon regard, la musique dans ma voix. Paris, c’est la lumière dans mon coeur et le sol, solide, sous mes pieds. Je ne pourrais jamais faire un choix entre les deux car ils me composent, d’une façon parfaitement complémentaire. Pourtant, ce n’est pas une mince affaire de s’accepter lorsqu’on est, désormais, toujours « l’autre » selon l’endroit où on se trouve. Pour les parisiens, je suis sudiste. Pour les sudistes, je suis parisienne. Et plutôt que de voir le verre à moitié vide en me disant que je n’ai - finalement - ma place nulle part, je le remplis en réalisant la chance que j’ai d’avoir ma place, partout. 

Dompter le feu. 

Mais ce serait hypocrite de vous dire que j’ai toujours porté mes origines fièrement en bandoulière. Pendant quelques temps, soucieuse de me fondre dans la masse parisienne, je les ai boudées timidement. Timidement, car mon coeur a toujours su que je n’avais pas de quoi avoir honte pour autant. Je suis une enfant du soleil et de la mer, je le ressens au plus profond de moi à chaque fois que je les retrouve. Ils m’appellent, instinctivement. Avec le recul, je sais la chance que j’ai eue de grandir dans le sable, au milieu d’une culture qui m’anime d’un feu que seuls ceux et celles qui le portent en eux peuvent reconnaître. Les promenades à vélo avec mes grands parents, les matinées à la plage d’une banalité sans nom, les traditions culinaires et l’odeur de la paella de ma grand-mère maternelle, le soleil en toutes saisons, les matchs du rugby du samedi après-midi, les expressions qui feraient friser les pontes de l’Académie Française, la fleur d’oranger dans les bunyettes de ma grand mère paternelle, le ciel en feu au coucher du soleil quasiment tous les jours, mon grand père qui joue Michel Fugain à la trompette, l’odeur de l’herbe coupée dans le jardin de ma maison d’enfance, et celle de la crème solaire Nivea que ma mère m’appliquait par couches épaisses sur le torse quand, petite, je ne mettais que le bas de mon maillot comme Mimisiku. Toutes ces choses me composent, et même si je jette volontiers certaines manies et habitudes extrêmement beaufs de mon patelin d’origine, je n’oublie pas d’où je viens, je n’oublie pas ce qui m’a construite.

Et désormais, je ressens la flamme dans chaque Sud que je rencontre, qui cumule l’immensité de l’horizon sur l’eau et les rayons du soleil. Accoudée face à la mer, ou l’océan, mon cerveau s’apaise. Les bruits s’amenuisent. Mon âme se recharge et je suis en paix, pour quelques minutes. Tout ceci est ancré en moi, pour toujours et je ne me fais pas prier pour le ramener dans mes valises lorsque je rentre à la maison. La maison, c’est Paris, sans laquelle je ne respire pas. Je porte en moi, comme bien d’autres personnes, le mariage imparfait du soleil et de la pierre qui composent, à eux-deux, toutes les nuances de ma personnalité où que je sois, pour arriver à cette conclusion : tu peux sortir la fille du Sud, mais tu ne sortiras jamais le Sud, de la fille. Et c’est tant mieux.