la marge.

La marge, c'est autant un lieu d'observation, d'annotation et de commentaires qu'un endroit qui nous sépare du monde, tout en nous y incluant. Bref ma safe-place.

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Par Laurie Planes
15 oct. · 7 mn à lire
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« De l’eau dans un verre à pied, s’il vous plait »

La newsletter de cette semaine, est la raison d’être première de La Marge. D’ailleurs, quand je réfléchissais encore au concept, c’est le premier papier que j’avais en tête. Je vous préviens, il se peut que vous le trouviez long et dérangeant. Mais ici, on ne fait pas comme tout le monde, ici on dit les choses.

Demain, nous serons le lundi 2 octobre 2023. Demain, cela fera 6 mois - jour pour jour - que j’ai totalement arrêté de boire de l’alcool. Il est vrai que j’ai semé quelques indices sur Instagram mais que je suis restée discrète sur le sujet. Je n’ai pas fait de grandes déclarations, non pas parce que j’avais honte, mais parce que ce pèlerinage de la sobriété m’appartient totalement. C’est mon histoire, voilà pourquoi je voulais trouver le bon moment - et surtout le bon endroit - pour vous la raconter. 

Ma dernière cuite n’avait rien de particulier. C’était un samedi à l’heure du déjeuner. J’étais avec une de mes meilleures amies dans un endroit qui encourageait « le bon vivant » et c’est tout naturellement qu’on s’est descendu trois bouteilles de vin à deux. Peut-être que ça ne m’aurait pas paru si exagéré si je n’avais pas été debout depuis moins d’1h30. Je me souviens encore avec quelle facilité le vin blanc a glissé dans ma gorge, verre après verre, mon ivresse tantôt joyeuse, tantôt provocatrice mais aussi les longues heures qu’il m’a fallu pour décuver correctement, moyennant pourtant une belle plâtrée de pâtes aux crevettes. Ce jour-là, j’ai commencé à reprendre mes esprits aux alentours de 23h, avec la moitié de mes souvenirs et un très fort sentiment de culpabilité. Vous me direz que vous aussi, vous avez connu ça quelques fois et que ce n’est pas grave. Sauf que moi, j’ai décidé un dimanche 2 avril que oui, c’était grave. 

Ceux qui m’accompagnent depuis de nombreuses années avaient pourtant déjà assisté à beaucoup de mes épisodes du genre, parfois même bien plus problématiques,  et se sont aisément habitués à ma solution miracle : la fameuse cure annuelle - une période survenant généralement de septembre à décembre où, durant trois mois, je ne buvais pas une seule goutte d’alcool pour me « détoxifier »… et reprendre de plus belle sans trembler une seule seconde sur mes appuis.  

Mais qu’est-ce-qui a alors fait que, cette fois-ci, l’option éphémère ne m’a pas suffit ? Un constat des plus simples : c’est facile de s’arrêter lorsqu’on sait pertinemment que l’on va reprendre.

La légende urbaine du verre de trop

J’ai toujours voué une grande admiration à toutes les personnes capables de stopper net leur élan en déclarant « je m’arrête, c’est le verre de trop ».  Au même titre que le Saint-Graal, il a toujours été une véritable légende urbaine à mes yeux. Ou peut-être avais-je un super pouvoir ? Putain, mes amygdales savaient nager. Plus sérieusement, je suis tombée sur une interview de l’actrice Lucy Hale (Pretty Little Liars) qui parlait de ce phénomène en le qualifiant d’ « allergie » à l’alcool. 

Mon cerveau ne marche pas de la même manière que quelqu’un qui peut simplement boire un verre de vin. Il en veut toujours plus.

Fact is, si vous empilez les verres comme un routier, vous avez peu de chance de voir le panneau stop. Ça a été le point de départ de ma prise de conscience : le fait que je surfe les limites sans les ressentir une seule seconde. On arrive à la partie le plus intime de ce papier, celle ou j’avoue avoir un terrain génétique d’alcolodépendant. J’ai toujours su que dans ces conditions, j’avais 50% de chance d’y être sujette, même si je ne voulais pas l’entendre. Et ce soir d’avril 2023, j’ai eu besoin d’en savoir plus. Pour vous la faire simple, certaines cellules de notre cerveau sont en déséquilibre constant entre excitation et inhibition. Chez la personne sans risque, ces deux sentiments s’équilibrent naturellement. Mais si vous présentez les mutations génétiques propices, les zones du cortex cérébral responsables du jugement et de la prise de décision réfléchie sont considérablement impactées à cause de certains récepteurs présents en plus faible quantité. Résultat ? Une capacité de régulation automatique largement amoindrie. Sous l’impulsivité de ce bordel organisé, on tombe donc très vite dans le « trop ». Et le « trop » dans ce genre de cas, on appelle ça de l’alcoolisme. 

Oui, je sais. Vous ne l’aimez pas ce mot. Vous le trouvez exagéré, dérangeant, malaisant. 

Ça me rappelle que l’année dernière, j’ai lu un livre absolument bluffant - Sans alcool - écrit par Claire Touzard, une journaliste livrant le carnet de bord de son sevrage. Un passage en particulier m’avait marqué : 

Il y a cette illusion chez les cools, les intellos, que la picole médiocre ne nous concerne pas. L’alcool triste, c’est réservé au type sans dents et sans emploi, qui carbure au pastis dès 10 heures du matin au PMU. Notre vin festif, en revanche, n’aurait aucun effet toxique. Dans l’inconscient collectif, les buveurs de classe moyenne ou bourgeoise seraient exonérés de la dépression et de la cirrhose. Ils sont bon vivants, marrants, artistes excentriques, nihilistes. Français.

Il faudrait arrêter de croire que la dépendance a un seul et unique visage. Elle est quotidienne et subtile pour certains, dispersée et fracassante pour d’autres. Par exemple, je n’ai jamais eu de bouteille de vin constamment ouverte dans mon frigo (une ou deux tout au plus pendant le confinement). Mais j’étais plutôt du genre à distiller 5 ou 6 mojitos un mardi soir pendant un afterwork improvisé. Laissez-moi vous confirmer que mes mercredis avaient une sale gueule, et moi aussi. Et non, je ne parle même pas des évènements presse où le champagne coulait à flots. C’était encore pire. 

M’enfin, ce fameux soir-là, après plusieurs heures à retourner Google, J’ai assimilé toutes les informations recueillies en tâchant de rester calme, et puis j’ai très mal dormi parce que je savais d’avance que j’avais pris une décision qui allait changer ma vie. 

Le lendemain matin, au réveil, je me sentais déjà plus faible que jamais face à ma prise de conscience. Et je savais que pour me lever, au sens propre comme au figuré, j’allais devoir compter sur la partie la plus musclée de ma personne : mon mental. 

Phase 1 : crise d’identité, hypersensibilité sensorielle et tentation. 

Les premières semaines ont ressemblé à ce que je connaissais déjà. À la différence que je savais que  c’était définitif et que, par conséquent, j’avais l’impression que chaque bouteille et verre se trouvant en face de moi me dévisageait en m’appelant. Les anniversaires de mes deux meilleures amies, les évènements professionnels, chaque réunion avec un ou plusieurs de mes potes : le supplice était permanent. J’en avais envie tout le temps. L’humanité en moi avait atteint son paroxysme : la notion d’interdit attise un puissant désir contre lequel lutter n’est pas une mince affaire. Mais si la tentation est humaine, l’orgueil l’est tout autant, et heureusement dans ce cas précis, le mien peut remplir des pièces entières. C’est pourquoi je n’ai pas cédé. J’avais présenté mes excuses aux personnes à qui je le devais, j’avais annoncé officiellement ma décision de devenir sobre : ce n’était clairement pas pour trébucher dans ma propre connerie. 

Les premiers signes de faiblesse se sont estompés plus rapidement que je ne l’aurais cru. Mais ils ont laissé la place à des sensations qui m’étaient complètement inconnues. Déjà, l’hypersensibilité sensorielle a pointé le bout de son nez. Je suis, depuis toujours, très sensible à tout ce qui attrait au bruit, aux matières, à la vision. Vous voyez cette personne capable de donner un coup de boule pour des bruits de bouche ou qui se sent extrêmement inconfortable devant plein de petits trous ? Voilà, c’est moi. Le fait est que lorsque vous n’êtes pas ivre - ou pompette - vous avez conscience de bien plus de choses dans une soirée que la plupart des gens. Le bruit, l’odeur, la foule. Durant certaines occasions, il m’est arrivé de devoir m’isoler, étant un peu trop en conscience de tout ce qui se passait autour de moi. C’est une sensation très perturbante, surtout quand on est habitué à être la source de bruit principale d’une pièce la majeure partie du temps. Quelques crises d’anxiété plus tard, je suis parvenue à m’habituer à cette nouvelle perception des choses. Aujourd’hui encore, je me sens un petit peu comme Peter Parker quand il découvre ses spider-sens. Oui, je peux te prédire que tu vas péter ton verre avant même que tu le fasses, et le rattraper avant que ton pote maniaque ne dégaine le Rowenta plus vite que son ombre. 

Mais le plus désarmant pour moi a été le retour du calme, au coeur de ma tempête. D’un tempérament assez volcanique à la crise d’agressivité facile, je suis passée à une sérénité potentiellement dérangeante. 15 ans de ma vie que je suis un ouragan, comprenez bien que devenir une petite bruine m’a complètement perturbée. Je me suis alors posée une question complexe : tout ce que je sais de ma personnalité, c’était moi ? Ou c’était l’alcool en moi ? Vous avez 4 heures. Allez vous regarder dans le miroir de votre salle de bain avec ce genre d’interrogation philosophique, sans ensuite douter de vous, de votre vie toute entière ou de votre signe astrologique ! Comme j’étais devenue plus réfléchie qu’avant, j’ai pris le temps de m’observer et de m’écouter dans un nombre incalculable de situations. Et j’en suis arrivée à une conclusion qui ne m’a pas déplue : étant moins sur les nerfs malgré moi - afflux sanguin is not a légende urbaine -, j’ai commencé à choisir mes batailles. Et finalement, à avoir des victoires d’autant plus percutantes. On n’a plus besoin d’une armure superficielle lorsqu’on a conscience de celle qui est présente en nous. 

Le fait est qu’une fois que j’ai eu fini de me battre contre mes propres réactions, j’ai commencé à faire réellement attention à celles des autres et là, j’ai constaté quelque chose que je trouve affligeant : l’alcool est la seule drogue du monde que tu dois justifier ne pas consommer, au lieu d’expliquer pourquoi tu le fais.

Phase 2 : si tu ne bois pas d’alcool, tu es forcément religieux, malade ou en cloque.

« Heureux évènement au programme ? ». Quand ce type que je ne connaissais que depuis 2h30 - bien que sympathique - m’a posé cette question, j’ai eu une absence. Je ne voyais foutrement pas de quoi il voulait parler jusqu’à ce qu’il pointe du doigt ma bière sans alcool. C’est un fait, rares ont été les personnes qui n’ont pas posé de question face à mes verres de champagne, vins et spiritueux sans alcool. À la question « pourquoi tu optes pour les versions sans, alors que c’est bien meilleur avec ? », je répond souvent que j’aimerais bien rencontrer la personne qui a affirmé la chose en premier. Breaking news : quand on se tourne vers de très bonnes marques, l’absence est imperceptible au goût. La différence, c’est l’ivresse et que vous le vouliez ou non, c’est avant tout la chose que vous recherchez en consommant les versions « classiques » de ces breuvages. Mais si j’inverse la question : à même boisson, même goût, pourquoi opter pour celle qui est alcoolisée ? Généralement, c’est à ce moment précis que je ressens un fort malaise. Je n’ai jamais eu la prétention de vouloir convertir ou sermonner les personnes consommant qui croisent mon chemin régulièrement ou à l’occasion. Chacun sa vie, chacun sa croix, comme dirait l’autre. Mais j’ai toujours un peu de mal à comprendre pourquoi c’est moi qu’on vient interroger.  En France plus qu’ailleurs, l’alcool est culture. Il est gastronomique, il est sanctuaire, il est synonyme de fêtes et de bonheur. Mais est-ce que cela justifie le fait de vouloir mettre du vin rouge dans le verre d’une gamine de 6 ans, dilué avec un peu d’eau ? Oui mamie, je te juge d’en bas. C’est donc celui qui ne consomme pas, ou plus, qui dénote. C’est lui, la curiosité de la soirée. Je crois qu’au bout de 6 mois je m’habitue à ces nouvelles rencontres car mes proches ne posent plus de questions et partagent même parfois mes bouteilles. Mais je crois, qu’in fine, je dois ma capacité à endurer tout ça sans jugement et sans rancoeur à mon mental. J’essaie d’imaginer une personne plus fragile qui cherche encore sa raison de ne pas céder, face à ce sentiment d’anormalité et d’exclusion inconsciente. Elle finirait par craquer sous la pression sociale. Car il y en a bien une.  Avez-vous déjà vu quelqu’un assener un ancien fumeur à coup de « allez, une petite, ça va pas te faire de mal ! » Non. Parce que la clope, c’est mal. Ça donne le cancer, ça rend stérile, ça provoque des problèmes d’érection et bla, et bla, et bla. Grande nouvelle pour vous messieurs dames, l’alcool aussi.

Ne vous méprenez pas, je comprend. J’ai aimé ça tout autant que les autres. J’ai dit ces choses-là, j’ai chambré les non-buveurs, j’ai posé des questions stupides comme si j’avais affaire à une chimère. Et aujourd’hui, je ne suis pas bien fière. Mais l’humain est ainsi fait qu’il va tout faire pour tenter de comprendre et dévier ce qui est différent de lui, pour le faire rentrer dans son moule. Je ne vais pas m’engouffrer dans un débat sociétal mais vous en conviendrez, ce théorème de Putagore fonctionne pour beaucoup de problématique de nos jours.

Phase 3 : l’alcool te donne l’impression d’être heureux alors que sans lui, tu dois apprendre à l’être vraiment. 

Je sais qu’il y a des personnes qui ont cruellement besoin d’un petit coup de pouce pour hurler les paroles des sardines en dansant comme un cow boy. Et je comprend que si ces mêmes personnes font voeu de sobriété, leur personnalité sociale ne sera plus jamais la même. La fête se fera plus rare, l’inhibition quasi-absente. Plus question de faire des folies, d’aller draguer ce si joli sourire sur un coup de tête ou de partir dans un débat enflammé au milieu de la nuit. Je comprend, encore et toujours. Mais j’ai de la chance, car tout ça, je le fais même au petit déjeuner, avec un jus d’orange - sans pulpe - dans la main. C’est pourquoi, je n’ai pas perçu différemment les moments passés à festoyer. En revanche, la pleine conscience a besoin d’un petit coup de pouce et l’appréhension de certaines situations se veut plus courageuse. Vivre ces moments sans l’ivresse, c’est un peu comme faire du vélo, sans les petites roues. Au début, on cherche son équilibre et on a un peu peur de tomber et de se faire mal. On regarde comment font les autres, on commence par des petites distances. Et puis, un jour, on oublie qu’on n’a plus aucun filet et on se lance. Et on se promet des centaines de kilomètres à pédaler de la façon la plus naturelle possible. 

Un jour, une de mes bonnes amies m’a déclaré franco « il faut que j’arrête l’alcool, mis à part puer de la gueule et avoir des sentiments, ça sert à rien ». On avait beaucoup ri de cette punchline qui lui ressemble énormément. La vérité s’y trouve pourtant : on n’a plus besoin d’alcool quand on apprend à danser avec ses sentiments et ses émotions. Et dès lors, vous n’avez plus d’excuse, c’est quitte ou double. Et c’est grisant. Ce n’est plus lui qui vous a poussé à faire, dire ou vouloir quelque chose. Votre petite voix intérieure n’a pas besoin d’un mégaphone, elle a simplement besoin que vous l’écoutiez. Alors oui, parfois c’est assez arrangeant de se trouver des excuses. Vous avez provoqué une dispute ? Dit/fait quelque chose d’irrespectueux ou agit de façon stupide ? « J’étais bourré.e » sort comme la plus belle des justifications et ça tempère le tout, un temps seulement. Mais dans le cas où il provoque quelque chose de positif ? D’incroyablement audacieux et heureux ? Serez-vous capable de continuer votre propre histoire sans lui ? Ou retournerez-vous à votre insipidité sécurisante ? 

Paradoxalement, arrêter l’alcool, c’est découvrir la véritable ivresse. Celle que vous créez par vous-même, celle que vous ressentez dans vos tripes. Celle qu’on range dans la catégorie des orgasmes. De loin, elle parait mythique mais quand on la frôle, on n’a plus aucun doute.

Le fait est que je n’ai pas changé. Je suis simplement devenue la version de moi-même qui ne déborde pas. Le bronzage, sans coup de soleil, le bon repas sans indigestion, la vitesse sans accident. 

Et je suis très fière aujourd’hui d’affirmer que oui, le bateau aurait pu couler mais qu’heureusement pour moi, je m’appelle avion. 

PS : Je continue toujours de demander mes sodas, jus, et eaux dans un verre à pied. Parce que j’ai toujours trouvé ça plus chic, et je ne vois pas pourquoi il faudrait être en état de le péter par inadvertance pour en avoir un dans la main.