la marge.

La marge, c'est autant un lieu d'observation, d'annotation et de commentaires qu'un endroit qui nous sépare du monde, tout en nous y incluant. Bref ma safe-place.

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Par Laurie Planes
11 nov. · 5 mn à lire
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Doit-on réellement rendre des (body) count ?

Sommes-nous côté.e.s Argus au même titre que nos voitures ? J’étais pourtant sûre qu’on n’en était plus là en 2024 mais de récents évènements m’ont poussée à explorer cette interrogation. Popularisée sous le terme de « body count », la version charnière de notre kilométrage personnel divise autant qu’il continue de questionner les moeurs.

« Tu rigoles mais je suis incapable de te dire avec combien de mecs j’ai couché dans ma vie ».

Cette phrase, prononcée il y a quelques jours par une amie proche autour d’une gingerbeer, a relancé mon débat favori de ces dernières semaines. J’ai toujours pensé que nous avions toutes cette fameuse liste, parfois agrémentée d’emojis évaluatifs, dans notre application « Notes » sur iPhone. L’exercice étant amusant, je l’ai invitée à la réaliser en face de moi. Elle peine à tous se les rappeler, ou a parfois même oublié leur prénom. Ils reviennent à sa mémoire doucement, souvent par le biais de leur profession. Et ça me fait rire. That’s the point : cette échange n’a déclenché de gène chez aucune de nous deux et le jugement était aux abonnés absents. C’est peut-être cette bienveillance naturelle pour les expériences de vie - en général - qui me laisse penser que je fais partie de celle.ux qui n’apportent aucune importance au body count. Ce terme, qui désigne initialement le nombre de victimes d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle, s’offre désormais le sens de « décompte des corps… qui vont sous passés dessus ». Le regain d’intérêt pour cette donnée explose depuis la fin de l’année dernière, notamment à travers les micro-trottoirs discutables diffusés sur les réseaux sociaux, laissant la parole à des personnes qui, la plupart du temps, ferait bien de fermer leurs gueules. Une autre dont on se passerait bien de l’avis et qui utilise ce terme au service de valeurs rétrogrades, c’est l’influenceuse puritaine Thais d’Escufon, qui apparente le body count à la valeur qu’aurait une femme sur le marché du mariage. Comprenez : plus il est élevé, plus vous avez été « utilisée », moins vous êtes bonne à marier. Non vous ne rêvez pas : le sexisme profond a encore de beaux jours devant lui. 

L’idée me parait tellement préhistorique que je n’ai pas pu m’empêcher de m’interroger sur le principe tout entier depuis plusieurs semaines avec pour élément de départ un moment parfaitement lunaire auquel je ne m’attendais pas. Pour la première fois de ma vie, un individu de sexe masculin a hésité sous mes yeux à assumer son tableau de chasse, craignant un jugement de ma part. Je n’ai pas pu m’empêcher de croire à une blague sur le moment. Jusqu’ici, je n’avais rencontré que des mecs insouciants, presque fiers d’étaler leurs comptes à qui voulait l’entendre. Une belle illustration du fameux théorème du Casanova et de la Salope, cette loi ancrée dans l’inconscient collectif selon laquelle un homme qui a eu beaucoup de conquêtes serait admirable, tandis que son équivalent féminin n’aurait pas appris à se respecter. Je n’ai jamais embrassé ces règles qui m’ont toujours paru complètement obsolètes. Peut-on sincèrement juger la qualité d’une personne à construire quelque chose de sérieux ou à aimer correctement, au nombre de ses partenaires sexuels passés ? C’est comme répondre en espagnol à un type qui vous parle en allemand : ça relève de l’absurdité totale. Et pourtant, le sujet divise plus que ce que je croyais. J’ai lancé le débat, à plusieurs reprises, auprès des deux sexes, et une chose est sûre : il y a de quoi dire tant les réponses ont été plurielles, avec pourtant un seul point commun. Une insécurité individuelle comme point de départ. 

« Pourquoi est-ce que cela te dérange ? »

Au début, je croyais naïvement que les avis divergeraient simplement d’un sexe à l’autre, que les femmes n’en auraient rien à faire et que les hommes seraient pointilleux. On évolue tous dans une société profondément patriarcale et les habitudes ont la vie dure même si on les cautionne de moins en moins. Pourtant, j’avais parfaitement tort. Pour certaines femmes, l’idée de s’engager dans une relation avec un « queutard » est parfaitement rebutante, tandis que certains mecs ne prêtent absolument pas d’intérêt à ce que leur Potentielle aient eu de nombreux partenaires avant eux. Evidemment, il y a eu quelques traditionalistes qui n’ont pas dérogé à la règle, pour mon plus grand plaisir d’enquêtrice chevronnée. Jusqu’ici, aucun d’eux n’était mal à l’aise à l’idée d’exprimer leur avis qu’ils pensaient recevables. Mais les choses se sont compliqués lorsque j’ai entamé la deuxième partie de mon interrogatoire. « Pourquoi est-ce que cela te dérange ? » Coup dur pour les handicapés de l’argumentaire. Je me suis aperçu que plus je grattais la couche des fatalités classiques, plus le visage de mes cobayes se décomposaient progressivement. La vérité, c’est que les raisons données étaient tellement des idées reçues faciles à débiter, qu’ils ne savaient plus quoi dire lorsque j’essayais d’aller un petit peu plus loin dans la réflexion. Après tout, est-ce que la manière dont on envisage le body count d’une personne qui nous intéresse sincèrement en dit plus sur cette personne, ou sur nous-même ? Je crois que la réponse est assez évidente. 

J’ai découvert, par le biais de ces discussions, que les personnes qui prêtaient un intérêt au nombre - qui se veut faible évidemment - nourrissaient de profondes insécurités personnelles. Confiance en elles, jalousie, traumatismes passés : ça allait bien plus loin que les clichés derrière lesquels elles se cachaient publiquement. Et j’avoue que j’en ai été attendrie. Bon évidemment, je n’aurais probablement pas eu la même réaction si j’avais eu ces discussions avec des gens étroits d’esprits, non-enclins au débat, et ravis de me faire un sermon de pudeur et de moralité. Ceux-là, je les emmerde. 

Toujours est-il que ce que j’ai découvert en approfondissant le sujet, c’est qu’il s’agit plutôt de ce que le body count de l’Autre nous renvoie de nous-même qui peut poser problème. Parfois même, ce qu’il renvoie de nous aux autres. Je m’explique. Puisqu’il semble mal vu d’avoir un compteur kilométrique assez élevé, le regard que pourraient porter d’autres personnes rentrent dans l’équation, alors qu’il ne le devrait pas. Après tout, ce ne sont pas les autres qui partagent une relation avec la personne coupable du délit de vie. Mais à travers ce choix assumé de l’accepter telle qu’elle, nous passons parfois pour quelqu’un que nous ne sommes pas, pour rentrer dans un moule que d’autres ont dessiné à notre place. La bonne nouvelle, c’est que cette option là est facilement arrangeable. Il suffit d’arrêter de donner du crédit aux avis des gens qui ne vivent pas votre vie, et il s’avère que celle-ci vous paraitra rapidement plus douce. 

Mais dans le cas où c’est à l’intérieur de nous que le jugement se fait, cela nécessite un travail plus profond et acharné. Une autre de mes amies, lorsque je lui avais raconté ma mésaventure, m’avait dit ouvertement « il a de la chance de tomber sur toi, moi je n’aurais jamais pu laisser passer un tel nombre, je suis beaucoup trop jalouse pour ça » . Je n’ai pas compris tout de suite le rapport, mais après mûre réflexion, j’ai compris que la véritable gène était en elle, et non dans la situation même. La jalousie étant une forme plus ou moins discrète d’un manque de confiance en soi, plutôt qu’en l’autre, elle s’est projeté automatiquement dans des cas de figure imaginaires où l’autre pourrait draguer à tout va, ou tout simplement recroiser le chemin de l’une des filles avec qui il a crée une intimité temporaire. Pourtant, d’un point de vue factuel, ces situations ne sont pas arrivées et quand bien même ce serait le cas, elle n’aurait aucun moyen d’anticiper les réactions du mec en question. Son body count dit-il de lui qu’il lui manquerait de respect ? Qu’il aurait créé une connexion assez forte avec ses anciennes partenaires pour ne pas résister à chaque fois qu’il en recroise une ? Absolument pas. Bon, il y aura toujours des enfoirés, mais ça ça n’a rien à voir avec leur compteur, croyez-moi. 

Enfin, et parfois, la question de la frustration. Les libertés que l’on s’octroie dans la vie varient d’une personne à l’autre. Et nous sommes parfois envieux de ce que certaines personnes s’autorisent, au-delà des qu’en-dira-t-on. La frustration est probablement l’un des virus les plus toxiques du monde, c’est de lui que peut naître le jugement. Personnellement, je n’ai jamais jugé quelqu’un qui faisait tout comme moi. En revanche, quelqu’un qui en fait plus ou qui en fait moins, ça a déjà été le cas. Rassurez-vous, j’ai bossé là-dessus aussi et ça ne m’arrive quasiment plus. Quitte à être à claquer, je préfère que ce soit dans une authenticité totale. Et puis, avouons-le… qui sommes-nous pour ranger les autres dans des cases ? 

Cul-rriculum vitae 

Au milieu de toutes ces discussions, j’ai également pris le temps d’approfondir ma propre réflexion sur le body count. J’ai réalisé que, de ma vie toute entière, je n’avais jamais réellement songé à lui. Coucher peu, coucher beaucoup. Coucher sans sentiments, coucher avec sentiments. Peu importe. Mais vivre ce que l’on doit vivre, absolument. 

J’ai le souvenir lointain d’être allée voir, au début de ma vingtaine, le film « Sexlist » au cinéma. Le synopsis plus que bateau se résume en ces quelques mots : une jeune femme découvre dans un magazine féminin que les femmes ont en moyenne 10 amants dans leur vie, tandis que celles qui dépassent le chiffre 20 voient leur chance de se marier quasi-nulles. Paniquée, elle entreprend un récap’ assez risible de tous ses ex bails, le tout accompagnée par un voisin archi-sexy incarné par Chris Evans. Bon la suite, je vous la fais pas, vous l’avez vue venir. En revanche, avec un peu de recul, je me dis que ce genre de film est abominable, bien que la conclusion prouve qu’un chiffre ne signifie rien. 

Après vérification, il s’avère que la donnée annoncée dans le film est presque vraie. En moyenne, une femme française aurait 7,4 partenaires différents dans sa vie, tandis que l’homme français la surpasse avec une moyenne de 14,14 amantes. AH. Je serais tentée de dire que ce n’est pas bien représentatif de ce que je vois autour de moi et en même temps, là n’est pas la question. Si je faisais ça, je continuerais d’apporter de l’importance aux chiffres alors que la seule chose qu’il faut retenir, ce sont les moments de vie. 

Je ne sais pas vous, mais il m’est déjà arrivé de recruter des profils pour mon boulot. J’ai ouvert et lu des dizaines de cv. Et ce que je regarde en premier, ce sont les compétences, pas la liste d’expériences que certains pourtant priorisent. S’il n’y en a pas, c’est mauvais signe. S’il y en a trop dans un temps imparti, c’est mauvais signe. Merde à la fin. La vérité, c’est que ça n’a jamais été le plus important. Le plus important, ce n’est pas toujours ce qu’il s’est passé avant - bien que les vrais apprentissages de la vie se font sur le tas, c’est indéniable - c’est surtout ce qu’il se passe maintenant, et ce qu’il se passera demain. Et c’est peut-être la seule chose dont nous devrions nous soucier au sujet de ce foutu body count. Notre passé ne nous résume pas mais il contribue à des axes d’amélioration (si on n’est pas trop cons, qu’on s’entende) sur ce qui suivra. Et moi je crois, qu’in fine, je préfère m’entourer de personnes qui ont assez essayé de leur côté pour que je puisse me nourrir de leurs propres leçons, tout comme je pourrais leur rendre la pareille avec les miennes. 

En conclusion, si on nous a appris à réaliser des brouillons avant d’écrire au propre, c’est peut-être parce qu’il y a des choses qui seront retravaillées après relecture, mais toujours essentielles, jusqu’à la prochaine évaluation. D’où l’intérêt de ne pas négliger quelques annotations griffonnées dans la marge. Enfin, je dis ça, je dis rien.