la marge.

La marge, c'est autant un lieu d'observation, d'annotation et de commentaires qu'un endroit qui nous sépare du monde, tout en nous y incluant. Bref ma safe-place.

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Par Laurie Planes
28 avr. · 8 mn à lire
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Voici les 5 choses que je retiens (vraiment) de ma première année sans boire d’alcool.

La boucle est bouclée, enfin si on s’en tient au calendrier grégorien. Le 2 avril 2024, j’ai célébré mon tout premier Sober Anniversary et… j’ai été surprise par mes propres réactions, m’obligeant à faire un bilan de cette première année sans alcool, ce qu’elle m’a appris sur moi, et sur les autres.

Si vous êtes présents depuis le lancement de La marge, vous n’êtes pas surpris de lire ces premières lignes. En revanche, si vous avez débarqué en cours de route, vous avez quelques légères informations à rattraper. Il y a un an de ça, j’ai décidé d’arrêter de boire de l’alcool, définitivement. J’ai longuement hésité à aborder le sujet à nouveau dans cette newsletter. J’avais peur d’être lourde ou de passer pour une prêcheuse du genre de secte qui prône le foie éternel (j’espère que vous l’avez celle-ci parce qu’elle est technique). Et puis, parce que j’avais envie de raconter la suite et de vider mon sac mais aussi parce que je voulais faire partie de ceux qui ouvrent leur bouche sur les sujets dont on ne parle pas assez… je me suis dit que l’épisode #3 méritait bien une partie 2. 

Je ne vais pas vous dire que le 2 avril dernier, je me suis levée plus heureuse que les autres jours, surexcitée d’avoir franchi un cap symbolique. En fait, c’était un jour comme tous les autres jours, depuis un an. Moi qui suis cérémonieuse as fuck, ce fut le bide complet. En toute franchise, j’avais des ambitions classiques de post Instagram de “sober girl”. J’y ai pensé dès la veille, puis au réveil, et chaque heure de la journée. Et, croyez-le ou non, j’ai eu la flemme. La flemme de mettre en avant une des plus grandes victoires sur moi-même que je peux compter dans mon historique ? 100% louche. Je n’ai pas identifié ce que je ressentais : de la honte ? De la fierté ? De l’appréhension ? De la frustration ? De la colère ? Rien du tout ? Aucune foutue idée. 

À vrai dire, je n’avais pas spécialement prévu de faire un bilan méticuleux des 366 jours qui ont marqué cette nouvelle « vie » (encore moins de façon publique) et pourtant, j’ai fini par me convaincre que ce serait la meilleure façon de me rappeler le pourquoi du comment j’ai pris cette décision et pourquoi je dois en être fière.

1. Je suis ivre d’émotions, du matin au soir. 

Bourrée en permanence, le tout sans substance additionnelle, qui pourrait le croire ? Contre toutes attentes, ce qui m’a donné l’impression de profiter intensément de ma vie durant 16 ans ne faisaient en fait que m’en éloigner. Ce n’est franchement pas de ma faute, le rituel était tellement ancré que j’en avais oublié comment c’était avant. 

Je crois que nous ne buvons pas tous pour les mêmes raisons, bien que l’on puisse identifier plusieurs grandes familles de buveurs dans lesquelles se ranger. Il y a ceux qui consomment pour faire comme tout le monde, ceux qui le font pour devenir quelqu’un d’autre, ceux qui le font pour « guérir », ceux qui le font par plaisir et puis il y a ceux qui s’anesthésient. J’ai compris il y a très peu de temps que je faisais partie de cette dernière catégorie. L’intensité est bien vue dans certains domaines de vie mais lorsqu’elle réside dans chacune de vos cellules, ça peut vite devenir épuisant (pour vous et pour les autres). Je ressens tout « trop fort ». Alors, en faisant en sorte de pousser mon cerveau et mon corps dans le brouillard, je croyais me diluer alors qu’en réalité, ce n’était qu’un acte foutrement manqué. En voulant me débarrasser de mes émotions, je ne faisais que les envoyer à 200km/h dans la gueule des gens autour de moi. Le parcours de sobriété n’est vraiment pas tranquille. La consommation régulière d’alcool (et oui, même si c’est pas dès le matin, même si c’est pas tous les jours) a une répercussion globale sur le fonctionnement du cerveau, et notamment sur la clarté mentale. La manière dont on appréhende le monde devient faussée et ce, même dans les moments où nous sommes sobres. C’est en laissant le temps au temps que la ouate que j’avais soigneusement placée un peu partout dans ma psyché a fini par se dissoudre (spoiler alert : c’est très long, ça n’arrive pas à J+1 de l’arrêt). Et franchement ? C’est pas très drôle à vivre. Le « trop » est finalement revenu jouer à domicile, à l’intérieur.

Je n’avais jamais vraiment réalisé à quel point je pouvais être sensible, jusqu’à présent. Je ressens tout, absolument tout. La joie folle, la mélancolie, la colère (mais beaucoup moins souvent), la tristesse, la reconnaissance… mais comme je n’ai pas prétention à devenir un dictionnaire des émotions et des sentiments je vais m’arrêter là sur l’énumération (qui, si elle devient trop longue, risque de flinguer le rythme de ma phrase). Vous avez compris l’idée de toute façon. Est-ce que cela fait que je prend les choses beaucoup plus à coeur ? Étonnamment, non. La paix intérieure est revenue, celle que j’avais oubliée depuis la moitié de ma vie. J’apprends progressivement à être qui je suis, avec mes qualités et mes défauts, et surtout pas mal d’humilité. Je me souviens de tout ce que je dis, de tout ce que je fais. J’observe d’autant plus vos réactions et j’entends vos paroles un peu plus fort. J’aime à dire que si je devais m’identifier à l’un des quatre éléments, je serais le feu. Parce que je le trouve puissant, imposant et incontrôlable (et que je suis bélier, make sense). Mais la vérité, c’est qu’il y a une notion spirituelle qui peut se cacher derrière une vérité scientifique : l’être humain est composé à 65% d’eau. Depuis quelques mois, je me sens un peu comme elle. Parfois une flaque, parfois la mer, parfois l’océan. Il y a des jours où c’est le calme plat et où les rayons du soleil caressent la surface avec sérénité, et des jours où la tempête crée des vagues qui feraient trembler les meilleurs surfeurs. Et c’est ok puisque c’est la plus pure manière de ressentir. Suivre le courant, parfois y nager mais ne pas lutter contre ce qui est naturel, car le naturel est toujours plus fort que tout. Voilà la première leçon que je retiens. J’ai voulu, inconsciemment peut-être, modifier ce qui vivait naturellement en moi. Balle perdue et grosse erreur. En acceptant ce que je ressens, j’en fais une force qui développe une qualité essentielle pour être un meilleur être humain : l’empathie. Et franchement, j’adore ça. 

2. J’ai retrouvé mon âme d’enfant

En méditant sur ce bilan annuel, la première image qui a surgi dans mes pensées est curieusement la petite fille que j’étais, avant d’être adolescente, avant de découvrir l’alcool, d’en faire un outil de fêtes, de sociabilisation, de confiance en moi, et de féminisme. Avant d’être sous influence liquide, on est une personne totalement différente : pas d’échappatoire quand on a 7 ans. Tout se vit et se découvre avec une authenticité aussi pure que cruelle. T’as mal, tu pleures. Tu trouves un truc drôle, tu rigoles. T’aimes pas manger un truc, bah tu le manges pas… jusqu’à ce que ta mère vienne te forcer parce que, je cite, « les légumes c’est bon pour la santé ». Si tu approches ton nez d’un verre de vin ou de champagne, tu trouves que ça pue et que c’est dégueu. Si quelque chose te parait injuste, tu le dénonces à voix haute. 

La vérité c’est que lorsqu’on est un enfant, on entreprends les choses de la vie avec courage, saveur première fois. On ne connait aucune autre option, pas de ouate, pas de fuite. Et j’ai réalisé que les 12 derniers mois ont été une seconde enfance, un réapprentissage de la vie. Comme une enfant, je ne me force à rien, je me moque des conventions sociales, je suis moi-même sans avoir réellement conscience de ce que cela signifie pour ceux qui se sentent accablés par une quelconque pression. Il faut avouer que j’avais déjà un petit côté comme ça, mais désormais, c’est mon « inner child » qui respire à plein poumons. Et je crois qu’il est content. 

Fait notable également, mon corps s’est aussi bien plus régénéré qu’il y a six mois. Mon ouïe est toujours très sensible, tout comme mes autres sens, mais ça se maitrise. Je savoure les étreintes alors que je détestais ça auparavant, je trouve les choses simples du monde qui m’entourent un peu plus belles (je me suis extasiée devant un papillon dans Paris pas plus tard qu’hier) et mes papilles gustatives sont de retour. Je sais qu’il est de notoriété publique que les accords mets et vin ont un véritable sens mais, pour un peu plus foutre la merde, sachez qu’il a été démontré que la consommation d’éthanol amenuisait les goûts des aliments en endormant les susdites papilles de votre langue. Du coup, les miennes sont en plein éveil : la preuve, je me suis trompée de verre le soir de mon anniversaire et j’ai cru que ce proseco allait brûler l’intérieur de ma bouche pour toujours. J’ai du me rincer deux fois après avoir recraché le liquide tellement c’était infâme, de l’alcool à 90° ni plus ni moins. Et là encore, ça m’a renvoyé à mes précédentes premières fois, ces fois où, en goûtant un breuvage, j’ai trouvé ça dégueulasse : le Ricard, la vodka, la bière, le vin, la champagne. Histoire vraie : je n’ai jamais aimé du premier coup toutes ces choses. La Smirnoff à la limite, le Passoa passe encore mais ce sont des alcools noyés de sucres. Ah, le sucre. Ça aussi je pourrais vous en parler comme il se doit puisque je me suis découverte une passion folle pour les bonbons alors que ça m’écoeurait auparavant. Évidemment, il est présent en telle quantité dans les boissons alcoolisées que lorsqu’on coupe le robinet, il frappe à la porte. Je lui ai concédé quelques écarts, mais je surveille tout autant. Une addiction en cache une autre, ce n’est absolument pas une légende urbaine. 

3. J’en parle, parce que vous m’en parlez. 

C’est important, mais ça ne te définit pas. Tu n’es pas que ça mais pourtant tu en parles beaucoup.

Ces quelques mots, ce sont les paroles récentes d’une amie très proche. Ce n’était pas facile à entendre, car je ne veux évidemment pas que le fait d’être sobre devienne mon entière identité, mais je ne peux pas nier que cela contribue à créer un socle stable pour tout le reste désormais. Je répète souvent que je ne veux pas être une conne moralisatrice. C’est chiant, les gens moralisateurs. Mais je sais aussi qu’aborder d’un point de vue différent la consommation d’alcool en France est totalement tabou. Et moi, j’emmerde le tabou. J’en ai rien à faire de perdre des abonnés Instagram, ou bien voir des personnes stopper une conversation si - au milieu de tout ça - mes paroles peuvent aider certain.e.s à se poser les bonnes questions sur leur consommation. En général, ceux qui le font ont grandement raison de le faire. Si mes idées et mon témoignage enclenchent une réflexion qui peut aider une personne qui se sent mal, dans le silence, c’est la meilleure des récompenses. À base de « qui ne dit mot, consent », j’ai choisi mon camp.

Le fait est que je ne débarque pas dans vos vies en disant « Bonjour, je m’appelle Laurie et je ne bois pas d’alcool. » Je vis ma vie au quotidien comme si c’était normal. Parce que c’est ma normalité maintenant. En revanche, ce n’est pas celle de 90% des français, émoji clown. Et si je croyais - naïvement - que les questions allaient s’essouffler et que je finirais par ne plus en parler aussi régulièrement qu’au début, je me suis carrément mis une poutre dans l’oeil. C’est pourtant une bonne chose puisque cela signifie qu’il y a de la curiosité, que la question arrive enfin sur la table, que vous vous intéressez au processus, que les clichés commencent un peu à trembler. C’est encore timide, souvent dans des conversations en petit comité ou via DM… mais vous vous livrez véritablement à moi parce que le fait que j’assume (ouvertement) et que je communique (publiquement) vous met dans un état de confiance. Vous savez que je ne vous jugerai pas et je trouve ça fabuleux. La normalité est normale, jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus et cela passe aussi par l’acte d’ouvrir sa bouche quand il le faut. Pas à l’excès, pas n’importe comment.

Et puis, on ne va pas se mentir, il y a ceux qui me cassent les bonbons, pour rester polie. Ceux que je ne me permets pas de juger, mais qui me jugent sans scrupules en retour. Je suis devenue le miroir de ce qu’ils ne veulent pas accepter chez eux. Pourtant, je ne les blâme pas et je ne les accuse de rien. Je les appréhende un peu comme les impôts : je n’aime pas particulièrement les voir arriver mais ils sont obligatoires en France alors on fait avec, et on se prépare au mieux. 

4. La vilaine voix dans ma tête ne partira jamais

Je ne vais pas vous servir de la soupe à paillettes en vous disant qu’arrêter un truc aussi addictif et installé que l’alcool m’a libérée de façon soudaine, que le ciel est plus bleu, que les nuits sont plus tendres et que tout est arc-en-ciel de couleurs. C’est faux. J’ai poussé le vice trop loin pour que le mal ne soit pas déjà fait. Et dans ma tête, la petite voix. Ma copine Charlotte l’appelle « le monstre », la journaliste et auteure de « Jour Zéro », Stéphanie Braquenais, l’appelle « la hyène » tandis que moi je ne lui avais encore pas donné de nom. La nommer c’est admettre qu’elle fait partie de moi, pour toujours. Cette petite voix, c’est l’écho de l’addiction, de la solution de facilité, de l’effet de masse sociétal. Elle te dit que non, tu n’as pas de problème, tu es simplement bonne vivante. Elle te dit que tu es capable de modération, et qu’au pire ce n’est pas grave, puisque tout le monde le fait. Elle te dit que ça va te rendre plus heureuse. Elle te dit que t’as l’air stupide à boire des boissons désalcoolisées plutôt que les originales alors que putain, t’en aimes juste le goût. Cette petite voix, elle te pousse à poser tes lèvres sur un verre, parce que la vérité, c’est que c’est elle qui a soif. Pas toi. La plupart du temps, elle me semble fourchelangue, elle blablate dans son coin de façon inaudible et j’arrive à l’éteindre par des heures de musique en continu ou des éclats de rire. Et parfois, quand elle s’est assez nourrie de ce qu’elle a entendu dans d’autres bouches, elle hurle. Elle hurle fort, et elle me gave. Récemment, elle m’a même fait peur. J’étais tranquille, dans une safe-place, et j’ai bien cru que j’allais me lever, filer dans un bar et commander un jet-perrier parce que « putain y’en a marre ». Je ne l’ai évidemment pas fait, mais je n’ai pas aimé l’effet ressenti sur le moment.

C’est là que j’ai décidé de l’appeler Jeanne, en référence à Jeanne d’Arc, quitte à jouer la carte du patrimoine français, autant qu’il y ait un clin d’oeil historique. Et puis, chaque fois que je prononce ce prénom à voix haute, j’entends l’intonation des mecs du Palmashow et ça me fait rire. Comme le sort « ridiculus » dans Harry Potter, je désacralise l’effet de peur qu’elle peut avoir sur moi. Allez, va me faire un café, Jeaaaaaaanne. 

Mais ça m’a aussi rappelé que c’est un dialogue permanent. Je ne serai jamais réellement libérée parce qu’en plus, elle est têtue, cette saleté. Le seul truc qui me sauve, c’est que je le suis plus qu’elle.  

5. On est bien plus nombreux que ce que vous pensez

N’y voyez aucun acte de victimisation ou d’exagération puisque c’est un fait avéré : en sortant du troupeau de par mes choix, je suis devenue un mouton noir. Il est très rare que dans une soirée classique, les non-buveurs soient en majorité. Je dois donc m’adapter tout le temps, que ce soit lors de rencontres en appartements ou dans des établissements à l’extérieur. C’est cette deuxième catégorie d’évènements qui est la plus difficile à vivre car rien n’est fait pour la diversité de consommation. Exemple : hier soir, j’avais un anniversaire dans un bar à vins très sympa. Bonne ambiance, bons produits (la charcuterie était dingue) et j’ai eu le droit - gentil - d’amener deux bouteilles de mes soft, sans avoir à payer de droit de bouchon. Comme j’ai voulu jouer le jeu, et que j’étais un peu mal à l’aise (évidemment) de débarquer comme ça, je n’en ai pris qu’une en me disant que je commanderais des cocas ou des jus de fruits sur place. Ils ont aussi un commerce à faire tourner donc ça me paraissait super fair. Vient donc l’heure de commander, et là : ah bah rien. Un verre de limonade. Seulement de la limonade. Rien d’autres.

C’est évidemment le cas le plus extrême auquel j’ai été confrontée cette dernière année. Je sais qu’à l’image du véganisme qui a mis du temps à trouver sa place dans les commerces, l’idée de sortir vivre un moment de convivialité sans boire d’alcool est encore peu répandue mais le mouvement est en marche. Je vois, autour de moi, et je découvre, notamment grâce à mon métier, que l’idée d’être « un bon vivant » avec des nouveaux types de boissons émerge petit à petit. Rappelez-vous, au moment moment où vous lisez cette newsletter, que je suis en minorité aujourd’hui, mais que je ferai partie de la masse de demain. Tout au long de ces derniers mois, j’ai rencontré un multitude de gens qui ont adopté un mode de vie similaire au mien, ou qui ont trouvé une variante qui leur correspond pleinement (coucou les flexi-drinkers). Le marché est en mutation, et les langues se délient. Ce sera long, mais ce sera, malgré tout. Avec pour but final, une notion de « vivre ensemble » qui ne pointera plus du doigt les comportements de consommations dissonants, surtout quand ils ont une dimension de santé physique et mentale que personne ne devrait remettre en question. Pour ceux-là, je n’ai qu’une réponse : lâchez-moi le foie.