la marge.

La marge, c'est autant un lieu d'observation, d'annotation et de commentaires qu'un endroit qui nous sépare du monde, tout en nous y incluant. Bref ma safe-place.

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Par Laurie Planes
5 août · 6 mn à lire
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Mon féminisme a des limites (et c’est assez désagréable à constater)

Après un mois d’absence, le sujet qui se profile dans cette marge #22 a quelque chose de risible. Déjà, parce que je préfère l’aborder sur le ton de l’humour, ce qui influencera probablement votre jugement. Ensuite, parce qu’il m’a demandé de m’asseoir sur mon égo pour mettre le doigt sur un truc un peu emmerdant : les limites de mon féminisme.

Ce mois de silence, j’en avais besoin. Les météos climatique et humaine de ces dernières semaines ont eu raison de mon inspiration et surtout, de mon envie de partager mes observations quotidiennes. Je ne sais pas marcher sur des oeufs moi, je suis plutôt la reine de l’omelette. Alors parfois, il vaut mieux prendre un peu de recul. Je me suis donc occupée autrement qu’à travers l’écriture. J’ai travaillé, rangé, trié, fait un nombre incalculable de masques skincare, dévoré les deux saisons de « Modern Love » sur Prime Video et lu quelques livres sympathiques pour apaiser mon esprit. La semaine dernière, je me sentais enfin prête à caresser à nouveau mon clavier d’ordinateur jusqu’à ce qu’un évènement soudain et indépendant de ma volonté vienne me foutre un nouveau seum. 

Ce qu’il faut savoir, c’est que s’il y a bien un endroit ou je me terre sans vergogne pour échapper à tout ce qui m’enquiquine, c’est mon appartement. Mon trou en tant qu’ours mal léché. J’aime y trainer de pièce en pièce, modifier la décoration, le ranger et le polir messire (si t’as pas cette ref, il faut se poser des questions). Bref, j’aime m’y retrouver seule et n’en faire qu’à ma tête. Et pour que la sérénité m’envahisse, il faut donc que tout y fonctionne correctement, soit à mon goût et selon ma propre organisation. Et de façon générale, j’y arrive plutôt bien. Bonus absolu : une Laurie propre et détendue, dans un appartement propre et rangé. Il n’y a pour moi aucune autre sensation comparable à ce que je ressens dans ces moments-là : je suis parfaitement alignée. 

Imaginez donc la violence ressentie lorsqu’il y a quelques jours, une fois cul nul dans la douche, j’ai réalisé que je n’avais plus d’eau chaude. J’ai pourtant abordé la chose avec patience, me disant que ça pouvait arriver qu’elle mette plus de temps à débarquer que d’usure (spoiler alert : non). Cinq minutes et chacun de mes pores en hypertension plus tard, coincée dans un rectangle en carrelage glacé avec une température intérieure digne d’un soir de novembre, je capitule. Et comme une autre de mes névroses consiste à ne jamais enfiler mon pyjama ou entrer dans mon lit sans être propre comme un sous-neuf, je retiens mon souffle et décide tout de même de me laver. J’ai presque un point de côté tellement j’ai froid, et je sens mon humeur maussade revenir au galop. Autant il suffit de peu pour me mettre en joie, autant le contraire est tout aussi vrai. C’est donc 100% chafouin que je vais me coucher, ruminant sur le pourquoi du comment. 

À ce moment-là, une partie de moi - bien naïve - espère qu’il ne s’agit que d’un bug passager de canalisation. Genre. 

Le lendemain, elle n’était évidemment pas revenue comme par magie. Je me positionne donc dans mon couloir, en face de mon ballon d’eau chaude. Je l’observe sans bouger. Je regarde le compteur sans vraiment savoir ce que j’ai sous les yeux, puis je fixe les tuyaux comme s’ils allaient se mettre à parler pour m’expliquer exactement quel est le problème. Mais rien ne se passe. Et je suis là, démunie, plantée comme une andouille en face d’un truc qui me dépasse totalement. Bon évidemment, je n’ai rien tenté, car en plus d’être une handicapée de la maintenance, je suis également une phobique des accidents ménagers. Par exemple, j’ai la peur parfaitement irrationnelle que mon four ou mon réfrigérateur explosent. Rigolez pas trop, ça peut arriver. Autant vous dire que j’ai une reconnaissance éternelle pour les gestionnaires de mon appartement, où je suis - thank god - une joyeuse locataire, qui ont agi extrêmement vite pour que je puisse récupérer mon confort d’antan sous la douche. Trois jours plus tard, le ballon d’eau chaude est tout neuf, même si je n’ai même pas réussi à le connecter comme il le devrait sur mon téléphone. Andouille, on a dit. 

Tous égaux devant la caisse à out’s ? 

Cet incident, bien qu’il soit malchanceux (rappelons qu’un ballon d’eau chaude a une durée de vie moyenne de 10 ans, et qu’en 10 ans de vie à Paris, j’ai du le changer dans chacun de mes appartements) me renvoie alors à un point qui me travaille depuis longtemps. Autoproclamée depuis belle lurette comme femme indépendante, carriériste, capable de combler la majeure partie des lacunes crées par le patriarcat par moi-même, je suis pourtant une véritable catastrophe lorsqu’il s’agit d’utiliser mes mains (et mon cerveau) pour une quelconque activité de bricolage, qu’elle soit de l’ordre du loisir ou du besoin. Et voilà comment, à maintes et maintes reprises, je me suis cognée aux limites de mon féminisme avec une violence que j’aurais préféré éviter. 

Et là, vous vous dites : « ça a quoi à voir avec le féminisme ? » . Tout. Ça a tout à voir. Parce que quand on adhère à un tel courant de pensées, on ne choisit pas uniquement ce qui nous arrange, à savoir le respect mutuel, l’égalité salariale ou bien la fin de la culture du viol, mais on prend tout le pack. Et « tout le pack »  stipule qu’il est hors de question d’ouvrir sa bouche sur certains points pour ensuite venir pleurnicher derrière des mains masculines pour fixer une étagère. Et c’est pourtant le genre de pensées pré-formatées qui ont envahi mon esprit à plusieurs reprises. Le « Si j’avais un mec, il aurait fait ça en 5 min » devient le pire raccourci que mon cerveau ait pu faire dans sa vie. Mais la pensée fugace a pourtant débarqué et je ne peux pas m’empêcher de trouver ça hyper flippant. Parce que ce n’est pas une réalité, c’est simplement une idée reçue qui a la peau dure. J’ai, autour de moi, des femmes plus capables de poser du carrelage et déboucher une canalisation que certains hommes qui restent aussi incrédules que moi face à la situation. D’ailleurs, qu’on se le dise aussi, il n’y a qu’un professionnel pour changer un ballon d’eau chaude, un mec random aurait été tout autant inutile si ce n’est que l’excès d’orgueil l’aurait probablement poussé à tout toucher en espérant trouver d’où vient le problème, avant d’aggraver la chose et de se manger quelques réflexions acerbes de ma part dans la foulée. N’est pas Mc Gyver qui veut, merde. 

Et pourtant, le lien entre la tâche et le genre me parait aussi glissant qu’un toboggan aquatique dans un parc d’attractions. Ce qui n’a pas vraiment de sens quand je fais un état des lieux dans mon propre entourage. Toutes les filles ne savent pas cuisiner et tous les mecs ne savent pas monter un meuble IKÉA en utilisant toutes les pièces correctement. Perso, je ne sais faire aucun des deux et j’imagine que ça remet un peu la balle au centre, quelque part au milieu de mes tribulations. Le fait est que je me suis sincèrement sentie comme une arnaque. Ah, elle n’était plus aussi grande ma gueule, à l’instant T. D’ailleurs, ce n’est absolument pas la première fois que c’est le cas et je crois, qu’au fond de moi, il serait honnête d’admettre que ça m’arrange bien de passer pour l’assistée de service, pour reproduire un schéma que je ne connais que trop bien, à savoir…

Le « Laisse-moi faire, c’est bon » du paternel

Du côté de mon père, je viens d’une famille d’artisans, ça bricole aussi naturellement que ça respire. Mon grand-père était menuisier, tout comme son père avant lui, et avec mon oncle et mon père, ils ont construit et rénové pas mal de maisons. À eux trois, et probablement quelques copains, ils ont réussi à faire des trucs qui me dépassent complètement. À sa retraite, Papi Jean c’était un peu l’homme à tout faire du village de mon enfance. Tout le monde le connaissait et l’appréciait et il allait dépanner un peu à gauche et à droite, en bleu de travail, accompagné de Milord, le teckel que ma grand-mère avait adopté pour moi à l’origine et qui était devenu son meilleur ami. En repensant à ces souvenirs, je ne peux m’empêcher de faire un lien avec un épisode de Desperate Housewives, diffusé à la télévision cette semaine : celui de la mort d’Eli Scruggs, l’homme à tout faire de Wisteria Lane. Un bonhomme aux traits sympathiques et bienveillants dont les vacances aux Bahamas initialement prévues avant son arrêt cardiaque avaient été quasiment rémunérées par les appels à intervention de Susan Mayer, qui est probablement mon personnage totem dans ce genre de situations. 

Ainsi, depuis toute petite, je vois les solutions débarquer aux problèmes ménagers à une vitesse hallucinante. Appeler un plombier ou un électricien ? Mais pourquoi faire, en fait. 

Je me souviens avoir été souvent intriguée par leurs activités et n’avoir jamais pensé, au départ, que c’était un truc exclusivement réservé aux hommes. Ma belle-mère, elle aussi, est une pro de la bricole. Pas autant, mais elle n’a jamais demandé d’aide particulière sur des tâches simples comme peindre ou fixer quelque chose au mur. Lorsque j’ai aménagé à Paris en 2014, c’est d’ailleurs elle qui m’a mis un petit coup de pied au cul pour que j’arrive, péniblement, à monter mes premiers meubles au milieu du couloir (non, on ne rentrait décemment pas à 3 dans 17m2). Une fois en âge de tenir un tournevis, je me souviens avoir fait quelques tentatives avec le paternel. « Papa montre moi », « On fait comme ça ? », « Je peux t’aider ? »  Toutes soldées d’un lamentable échec aboutissant sur cette phrase simple et directe « Laisse-moi faire c’est bon, j’irai plus vite ». Il n’avait certes pas tort, mais si c’était le cas, c’était bien parce qu’il avait l’habitude. Et comment développons-nous une habitude ? En répétant un geste. Un geste qu’on ne m’a pas franchement laissé faire. Ce mélange de frustration et de capitulation a probablement eu raison de mes tentatives à l’âge adulte, faisant un raccourci malsain entre mes essais et un échec évident. Cette corrélation logique, je l’ai constatée au moment de mon déménagement l’année dernière quand, pleine d’insécurités quant à une couche de peinture blanche (niveau de difficulté, zéro), je demandais à mes potes si « c’était bien comme ça ? ». Je ne suis pas aveugle, j’aurais pu le constater de mes propres yeux, mais ayant passé une vie entière à me laisser sous-entendre que je n’étais pas aussi capable qu’un autre, c’était mal barré question confiance en moi. 

Du coup, je me sens un peu comme une arnaque par moments. J’ai la sincère envie que l’égalité des sexes qui motive mon féminisme s’étende tout autant sur des tâches genrées qui, avouons-le, ne m’excitent pas pour autant. Simplement, je regrette de ne pas avoir assez essayé, au point de me découvrir une peur panique face à la panne ou la casse de quelque chose dans mon appartement. C’est à peine si je saurais retrouver le disjoncter dans son boitier. C’est grave, c’est franchement grave. Et pourtant, en y repensant pendant la rédaction de cette newsletter, tout a du sens. J’ai assimilé malgré moi, ma prise d’initiatives manuelle à une erreur programmable. Comme déconstruit-t-ton cette croyance limitante ? 

Le bon côté des choses, c’est que je n’ai pas vraiment envie de me complaire dans cette mentalité à la con. Déjà parce que je n’ai pas envie de donner autant de pouvoir aux clichés patriarcaux de l’homme qui viendrait à ma rescousse avec sa caisse à outils, et ensuite parce que je pense sérieusement que je ne suis pas au bout de mes peines, en matière de galères domestiques. 

Alors même si je le répète, je serais parfaitement impuissante face à une fuite d’eau ou une panne de fils électriques, je me dis qu’il serait quand même grand temps que j’arrête l’une des dernières formes d’hypocrisie dont je peux faire preuve et que je me sorte les doigts de cul. D’ailleurs, je viens de découvrir que plusieurs magasins parisiens proposent des cours basiques de bricolage à côté de chez moi et je crois sincèrement que c’est l’une des meilleures recherches Google que j’ai pu faire dans ma vie (et j’en fais genre 50 par jour pour des trucs parfaitement inutiles). 

La voilà ma résolution de rentrée. Je vous tiendrais au jus, si je le prend pas entre temps.