Depuis quand être « romantique » est-il devenu une insulte à la réalité ? Bousculée par une remarque un peu trop amère la semaine dernière, j’ai décidé de régler mes comptes avec les aigris qui n’y comprennent rien, dans cette marge #19.
« Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Flemme totale. Cette newsletter n’est certainement pas une ode aux contes de fées gnangnan, patriarcaux et surréalistes qui ont nourri notre enfance malgré nous. Perso, ça m’est déjà arrivé de perdre une chaussure achetée le jour même et je vous garantis que j’ai plus eu le seum d’avoir la paire flinguée qu’avoir tout de même fini par choper mon crush dans la soirée. Shoes before men.
Non, cette newletter a pour vocation de bousculer les aigris, les condamnés, les cartésiens du côté obscur de la force, ceux qui calculent l’amour en fonction du patrimoine immobilier et de l’abattement fiscal.
Je ne pense pas vous étonner en confessant que la thématique des relations amoureuses et sentimentales fait partie de mes préférées. Il y a autant d’histoires à raconter que de personnes à rencontrer, si ce n’est beaucoup plus, et j’adore ça. Parfois je vis par procuration, parfois je vis tout court. Mais dans chacun des cas, j’en adore les moindres détails. L’idée même que l’amour ne puisse être qu’imprévus non-palpables suffit à me mettre en joie, dans un monde de prévisions météorologiques et de démarches administratives rodées.
Ce qui me chiffonne en revanche, c’est le genre de discours auquel j’ai été confrontée pas plus tard que la semaine dernière, où l’on m’a accusée à demi-mot, de rêver l’amour un peu trop fort.
Comprenez-moi bien, il y a pourtant un fossé entre l’idéalisme et le romantisme. Je n’ai rien de l’ingénue un peu trop naïve qui croit au Prince Charmant. Je n’ai aucune pathologie affective établie (merci les années de déconstruction) et je ne suis ni coeur d’artichaut, ni fleur bleue, ni tarte à la crème. Par contre, je raffole de ce qui exalte, de ce qui coupe le souffle, de ce qui donne le sourire et de ce qui fait cogner bruyamment le coeur dans la poitrine. Et toutes ces sensations, pour rien au monde, je ne m’assiérais dessus. Évidemment, et comme beaucoup d’entre nous, j’ai eu des temps sombres. Le coeur brisé, désillusionnée, je jurais avec impertinence qu’on ne m’y reprendrait plus. Tu parles… Une fois que le coeur guérit, la vie reprend ses droits et le cerveau ne peut s’empêcher de rêver, au même titre que je ne peux m’empêcher de chanter dès que j’entends « Les sunlights des tropiques » de Gilbert Montagné en soirée. C’est d’ailleurs probablement à ce moment précis que j’ai compris la différence distincte entre l’idéalisation de l’amour et le romantisme moderne. Je précise moderne, car le Stéphane Bern en moi souhaite faire une parenthèse culture. La notion de romantisme, provient du courant littéraire éponyme apparu au 18ème, opposé au classicisme, qui fait prévaloir le sentiment sur la raison, et l’imagination sur l’analyse critique. On lui prête bien entendu un caractère utopique, mais je mets un billet sur le fait que c’est un argument de parfait rabat-joie. En 2024, on peut parfaitement se laisser envahir par nos sentiments tout en gardant les pieds sur terre.
Je n’ai jamais caché mon intérêt pour les comédies romantiques, les histoires d’amour de la littérature ou les chansons aux paroles mielleuses qui envahissent ma playlist. Je n’ai pas honte, et vous ne devriez pas non plus. Je ne compte plus les fois où j’ai pu entendre « Laurie, on est pas dans un film là, c’est la vraie vie, ça n’arrive pas ça ». Économisez votre salive, ce genre de phrases me glisse toujours parfaitement dessus, bande d’aigris. L’idée même de laisser le pouvoir à autrui de ce qui arrive ou non me rend parfaitement malade. Par ailleurs, à quel moment avons-nous décidé que ce qui nous était présenté comme fictif, ne pouvait pas être réel ? C’est ok que les Simpsons prédisent le futur, par contre, c’est tiré par les cheveux de vivre des situations similaires aux romcoms avec Katherine Heigl ? Calmez-vous. Ces histoires existent car elles ont une capacité cathartique établie. Elles projettent ce que méritent nos sentiments profonds et intenses dans un récit inventé de toute pièce. Mais contrairement à une histoire de science-fiction qui appelle à l’imagination extrême, les situations, les psychés et les sentiments des héros/héroïnes ont tout à voir avec notre réalité. En quoi, dès lors que nous avons admis pouvoir nous identifier à certains personnages, devrions-nous nier en avoir les mêmes attentes ?
Pour qu’une comédie romantique, qu’un livre ou qu’une musique touche sa cible, il faut viser une portée universelle. Et vous savez ce qui est universel ? Les sentiments.
Parfois, j’ai la douce impression qu’il y a une part honteuse chez les personnes avec qui je discute, qui renient leurs aspirations romantiques, leurs envies et besoins d’actes enflammés - ceux-là même qui leur donneraient probablement l’impression d’être un peu plus en vie. Il s’agirait d’arrêter avec ce mécanisme de défense. Admettre que vous êtes absolument capable de traverser la ville en pleine nuit sous l’orage pour aller avouer vos sentiments à l’élu.e de votre coeur, ça n’a rien d’honteux, c’est plutôt complètement couillu, et c’est réel.
Plus encore, ce qui est considéré comme idéalisé dans notre pop-culture n’est autre que l’enchainement de mots ou d’évènements, tous droits sortis de la tête d’un être humain. Un être humain comme vous, qui a vu dans ses idées, une putain de belle histoire qui vaut la peine d’être racontée. Dans la vie, comme dans les films, il faut bien quelqu’un pour écrire le scénario. Cette trame narrative est entre vos mains. Attention, je ne vous incite pas à braquer une banque pour payer un bon restaurant à votre moitié. Ça, ce n’est pas romantique. Ça, c’est complètement illégal et inconsidéré. En revanche, il est de la plus grande tristesse de dresser des remparts entre ce qui vous parait inaccessible ou plein de clichés, et ce que la réalité quotidienne vous susurre à l’oreille pour vous faire rentrer dans une énième case qui arrange tout le monde. Vous êtes le seul et unique main character de votre vie, tâchez de la vivre de la meilleure des manières, sans jamais ne rien regretter. Personne n’a le droit de vous dire que c’est impossible, que c’est fantasque. Lorsqu’on parle d’amour, très peu de choses rentrent dans ces catégories (même si j’en admets quelques unes).
Et pourtant, ceux qui me connaissent savent très bien à quel point je peux me montrer précautionneuse, méfiante et observatrice. Je ne me jette dans aucune dévotion sans être sûre que la situation mérite mon énergie et mon intensité. N’allez pas dresser un portrait de ma personne complètement à côté de la plaque. Est-ce que ce mec me mérite ? Non. Est-ce que ça change quelque chose au fait que je meurs d’envie de l’embarquer pour un furieux coucher de soleil sur le sable ? Non plus. Il s’agit de faire la différence entre les réels faits, et ce que vous pouvez en faire. Et je ne crois pas qu’il y ait de mal à ça. Pour avoir l’impression d’être en vie, pour avoir l’impression d’avoir fait quelque chose en accord avec ce que nous ressentons, pour avoir recherché le Beau, pour ce gargouillis au creux du ventre, éphémère peut-être mais pour en connaître au moins la sensation. Et si se trouve en face de vous une personne qui déclenche ces envies que d’autres trouveraient parfaitement surréalistes, c’est peut-être vous qui êtes chanceux de vouloir aller plus loin que ceux qui s’acharnent à censurer leurs désirs intimes pour ne pas déborder du cadre. Vous n’êtes pas un cliché. Vous êtes ce que vous ressentez, et personne ne devrait trouver à redire quoi que ce soit là-dessus.
J’en ai mangé des comédies romantiques. À toutes les sauces. Il y a celles que je regarde pour la 1000ème fois, et celles que je me refuse à revoir, traumatisée par des bassines de larmes (ceux qui ont vu « PS : I Love you » peuvent aisément me comprendre). Sans oublier celles que je sais incroyables mais que je ne suis pas encore prête à visionner une fois de plus, à l’image de « The Notebook », que j’ai poncé sans scrupules quand j’avais 17 ans et qui sera toujours synonyme de la période de mon premier amour. Honnêteté, encore, toujours.
Il y a aussi les livres, modernes ou intemporels qui me font vibrer, page après page, et qui m’empêchent d’éteindre la lumière pour une ligne de plus, ou cinquante. Et la musique. Partout, tout le temps. Pour exacerber ce que je ressens et ce que je vis.
Je connais les codes. On y retrouve bien souvent les mêmes aspects, les mêmes problématiques et les mêmes émotions. Et pour cause, ce sont toujours des faits qui ont tout de réel.
Quand on me demande si je suis romantique, je répond toujours « Oui, je suis le genre de fille qui court dans un aéroport ». Air interloqué de mon interlocuteur. Nous connaissons tous cette scène. Le héros/héroïne réalise qu’il/elle va laisser filer l’amour de sa vie qu’il/elle a rejeté par orgueil ou « parce que c’était trop compliqué », ou parce que « c’est mieux comme ça », qui - comme de par hasard - a décidé de quitter la ville ou le pays. Evidemment, c’est toujours lorsque nous sommes au bord du précipice que la notification bruyante dans notre tête apparait « mais putain, qu’est ce que tu fous ?! ». Et c’est parti pour la course absolue. La voiture, le taxi, l’arrivée à l’aéroport. Et ça court, et ça pousse les gens, et ça doit à tout prix passer la sécurité parce que « vous comprenez, il faut que je lui dise que je l’aime, que je ne peux pas vivre sans lui/elle, après il sera trop tard ! ». Urgence dans la voix, goutte de sueur dans la raie des fesses. Les aigris diront : « T’es déjà allée à Charles de Gaulle, non ? À quelle heure tu crois que tu vas aller plus loin que le hall sans billet ? ». Face à ce scepticisme recevable je n’aurais que deux arguments. Le premier, c’est que vu comment je me fous de l’argent comparé à l’idée même de pouvoir être avec la personne que j’aime, je suis parfaitement capable de prendre un billet que je n’utiliserai pas. On est pas tous capitalistes ici messieurs, dames. La seconde, c’est que cette image est aussi la meilleure métaphore pour vous rappeler que la vie est une course. Parfois un sprint, parfois un marathon, mais qu’il s’agit de ne jamais s’arrêter de courir.
Courir après son amour, courir après ses rêves. Courir après des lettres manuscrites, des regards qui disent plus de mots que des bouches qui n’ont pas le droit de se toucher. Courir après des fous-rires sous la pluie, et des chatouilles sous la couette. Courir après les petites attentions, celles qui font que vous allez vous rappeler quelle est la pâtisserie préférée de votre élu.e pour lui offrir par surprise à la fin d’une mauvaise journée. Courir après des couchers de soleil, des engueulades qui ne sont que preuve d’un amour immense. Courir après ces nouveaux visages qui vont vous exalter. Courir après les sentiments qui font battre votre coeur jusqu’à exploser vos tympans. Courir après ce qui vous rend heureux.se sans tenir compte du reste. Vous ne risquez pas de passer la ligne d’arrivée, en restant assis sur le banc de l’infirmerie. Vous ne risquez pas de vivre si vous êtes persuadé.e que le rêve est uniquement destiné au sommeil. Parce que la vérité, c’est que les plus belles histoires d’amour ne se vivent pas dans nos rêves lorsque nous sommes endormi.e.s. La vérité, c’est que les plus belles histoires d’amour se vivent lorsque nous avons le courage de sortir de notre lit pour aller les chercher.
Et si être romantique, c’est être courageux.se, rappelez-vous que ça ne tient qu’à vous.