‘L’été où je suis devenue jolie’, ou pourquoi j’aimerais avoir 16 ans une deuxième fois

J'ai abordé ce sujet avec le plus grand des reculs (pas du tout) en questionnant mon entourage sur le souvenir qu'il avait de ses 16 ans. Tantôt nostalgique, tantôt soulagé... il semble avoir la mémoire intacte. Alors que moi, c'est une toute autre affaire.

la marge.
5 min ⋅ 17/09/2023

Je vais commencer cette NL avec une confession pleine de honte : je n’ai jamais eu d’amour de vacances. Aucun. Jamais. Devant vos visages étonnés et vos sourcils en l’air, je vous dois une explication rationnelle et absolument irréfutable : on ne part pas en vacances lorsque l’on vit soi-même sur un lieu de vacances.

J’ai grandi au bord de la mer, dans l’une des régions de France les plus fréquentées par les touristes. En cause ? Probablement, les prix bas et les 35 degrés à l’ombre. Autant vous dire qu’il n’était pas question de séjour en camping, de grande aventure familiale ou de cours de surf sur une Méditerranée qui, par chez nous, a clairement des allures de pédiluve géant sur plusieurs centaines de mètres. Je n’allais pas à la plage en vélo pour autant car rares sont les gens qui vivent à l’année dans ces maisons-là, sagement posées en enfilade le long de la côte. Non, il fallait bien taper 15 minutes de voie rapide bien bétonnée pour voir un semblant d’écume et de bigorneau. Tous les garçons que j’ai pu rencontrer étaient également des locaux (mon penchant pour les sudistes est visiblement ancré depuis toujours). Comprenez donc que si l’envie me prenait d’imaginer une romance éphémère, elle s’évaporait très vite en comprenant que le feu-crush de l’été avait toutes ses chances d’être mon voisin de cafétéria à la rentrée qui suivait. Forcément, c’est tout de suite moins poétique. Sentimentalement parlant, ma ville d’origine est un peu comme un rond-point : on en fait vite le tour et si on ne fait pas attention aux ‘cédez le passage’ ça peut très facilement finir en carambolage.

Mon premier vrai bisou (celui avec la langue, t’as compris) ? Pas du tout sur une plage au coucher de soleil mais complètement au milieu de mon salon avec le fils d’un ami de mon père à qui je ne donnerais probablement pas l’heure aujourd’hui. Que voulez-vous, j’avais 15 ans. 

Un teen drama pour point de départ

Alors voilà, nous sommes en juillet 2023 et je me retrouve à binge-watcher The Summer I turned Pretty sur mon canapé. Personne ne m’a demandé mon avis mais je ne peux pas m’empêcher de faire des commentaires dignes d’une rencontre sportive. Pour ceux et celles qui n’auraient pas eu l’ingénieuse idée de se pencher sur le dossier, cette série (disponible sur Prime vidéo) adaptée d’une trilogie de livres 100% Young adult, raconte l’histoire de Belly, une jeune adolescente qui semble être devenue jolie à l’instant même où on lui a ôté son appareil dentaire. Classique. Belly et son frère, accompagnés de leur mère, passent chacun de leurs étés dans une maison de vacances dont j’ai adoré la décoration (oui, c’est aussi ça être adulte). Cette dernière appartient à la meilleure amie de leur mère, qui a elle-même, deux garçons auprès desquels Belly a grandi. Et puisque l’intrigue est aussi claire que de l’eau de roche, on se doute qu’un triangle amoureux va pointer le bout de son nez. Choisir Conrad, dont elle est secrètement amoureuse depuis toujours, même si c’est une grande andouille à qui l’on peine à extirper un sourire ? Ou Jeremiah, le beau gosse aux yeux lagon qui répond toujours présent pour lui rendre la vie un peu plus facile, même s’il a la capacité de concentration d’un pain au lait ? Quel dilemme insoutenable. 

Une fois ma couche de cynisme fondue au soleil, c’est ma jalousie qui se retrouve à poil. Plus encore que cette situation fictive foireuse, l’esthétique de la série me fait envier l’idée même d’un rituel estival, d’un autre endroit, d’autres rencontres éphémères ou évolutives qui donneraient de la matière à mes mois de septembre. 

Cette grande maison, ces chambres attitrées, cette vie de « famille » créée sur-mesure par l’habitude des années, l’océan à portée de main et ces fameuses chaudes nuits d’été. C’est en me plongeant longuement dans mes pensées en fredonnant du Taylor Swift (qui est très bien représentée dans la soundtrack de la série, ce qui n’a rien gâché à mon plaisir), que j’ai alors réalisé que j’avais oublié mes 16 ans.  Alors ok, je n’ai pas eu la maison, les longs trajets en voiture, le grand frère relou, les fêtes sur la plage… Mais j’ai bel et bien eu l’appareil dentaire et le coeur battant la chamade. 15 ans plus tard, il m’en reste quelques faibles sensations, mais plus la texture. Mes sentiments et premiers émois de l’époque ne sont plus palpables aujourd’hui et je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si c’était normal ou si j’avais fait un rejet de cette époque malgré moi. J’ai sondé mon entourage par acquis de conscience. 

Dis moi ce dont tu te souviens, je te dirai ce que tu ne vivras plus

Breaking news : de nombreuses personnes semblent se remémorer d’une façon mystérieusement intacte leurs émotions et diverses sensations d’adolescence. Si je cherchais un certain réconfort en me confrontant à des visages amis qui pourraient me dire ressentir la même chose que moi, c’est loupé. D’un côté, il y a ceux qui ont les souvenirs heureux, qui ne regrettent rien et qui tendent à un poil de nostalgie. De l’autre, ceux qui sont soulagés de ne plus avoir à chausser leurs baskets de l’époque pour laisser loin derrière eux cette période de transition, d’expériences foireuses et de risques inconsidérés. Et devant certains récits, je constate qu’il est là, mon problème : je n’ai jamais été happée par une insouciance commune à cet âge-là.

Un souvenir récent de vacances me revient à l’instant. Si, depuis ma petite trentaine, j’ai eu le courage de mettre mon réveil à 4h du matin - après une nuit correcte de sommeil - pour admirer un lever de soleil sur la plus jolie plage de mon petit patelin… ma sérénité de l’instant s’est retrouvée bousculée par quatre énergumènes visiblement pompettes, encore en tenue de soirée, venus profiter eux-aussi du spectacle dans un boucan indésirable qui n’a pas suffit à faire dégager les mouettes présentes pour leur petit-déjeuner. Et vas-y que ça court, que ça parle fort, que ça nage jusqu’au ponton, que ça plonge en hurlant que la vie est belle. Et voilà que je peste comme une vieille conne aigrie. Le fait est que ça n’aurait peut-être pas été le cas s’ils avaient réveillé mes propres 16 ans et une pointe de compassion pour ces moments qu’ils ne retrouveront peut-être jamais. 

L’une de mes amies proches a cependant soulevé un point intéressant : il ne serait techniquement pas possible de comparer une toute autre période de notre vie à celle de notre adolescence, à cause des hormones.

Une raison physiologique au YOLO

Allons bon. Scientifiquement parlant, il est vrai que la production d’oestrogène et de testostérone s’accrue considérablement (pour ne pas dire archi-violemment) pendant la puberté. Il y a des choses qui poussent et qui nous entrainent dans un tout nouveau monde de sensations. Ces hormones communément appelées « du désir » tapent autant sur notre tête sans casquette qu’un soleil d’août en pleine canicule. Pourtant, elles ne disparaissent pas à l’âge adulte. Alors, est-ce vraiment leur apparition en trombe qui nous bouleverse au point de ressentir une tornade d’émotions toutes aussi intenses les unes que les autres ? Un peu comme les premières fortes températures à la fin du printemps ? On finit peut-être par s’y habituer en fin de compte, la maturité croissante fait le reste, comme dirait papi. Mais une autre donnée encore plus pointue a attiré mon attention. Une étude américaine de 2004 a en effet démontré que le corps atteint une maturité sexuelle avant d’atteindre une maturité cognitive et émotionnelle. Jusqu’ici rien de bien surprenant. Cependant, ce phénomène touche également le développement physique du cortex préfrontal, la partie de notre cerveau responsable du contrôle de l’impulsivité. Il n’atteindrait un état optimal qu’à l’âge de 20 ans. Tiens, c’est tout de suite plus parlant : non seulement notre corps a le feu aux fesses mais en plus notre cerveau lui chuchote « vas y frère, on n’a qu’une vie ». 

Et c’est en lisant ces quelques lignes assez inadaptées à mon bac littéraire que j’ai compris : si je peine autant à me rappeler de l’intensité des émotions, désirs et sensations de mes 16 ans, c’est qu’elle ne m’a jamais quittée. Mon cortex préfrontal n’a jamais du réellement pousser pour trouver un état définitif, je ne vois pas d’autre explication. Cette impulsivité n’a jamais délaissé mes actions, cette sensation folle de l’instant présent débordant d’envie et d’audace est devenu un trait constant de ma personnalité. Je suis peut-être une adulte qui fait attention à la décoration des maisons de série désormais mais je suis toujours habitée par LE coup de speed qui promet de beaux souvenirs. Rien n’a changé. Wow, un soupir de soulagement s’échappe de ma bouche à l’instant même où j’écris ces lignes. L’envie pressante d’avoir 16 ans à nouveau est toujours là, mais plus pour les mêmes raisons : j’aimerais me dire qu’il ne faudra pas s’inquiéter de ne pas vivre assez vite et assez fort. Que la vie est un marathon pour certaines personnes pas très douées pour sprinter et que les souvenirs enflammés ne seront pas cantonnés à une période délimitée de notre existence. Que c’est une chance d’avoir pu conserver cette façon de vivre, car mêlée à l’expérience, elle promet une vie d’aventures. Et que oui, votre vie peut changer dès qu’on vous enlève votre appareil dentaire (it’s a true story).

PS : la moi de 16 ans aurait évidemment fondu pour Conrad, celle d’aujourd’hui est clairement team Jeremiah. 

la marge.

Par Laurie Planes

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