Sexe : féminin. Tolérance ? Zéro.

Aujourd’hui, comme la plupart des jours de ma vie, je suis colère, je suis frustration, je suis insécurité. Bref, je suis une femme, supplément grande gueule.

la marge.
7 min ⋅ 14/01/2024

Cette semaine, je n’ai pas envie de sourire et si vous lisez ceci et que vous êtes une femme, je suis d’ores et déjà certaine que vous ne sourirez pas non plus. Pour être honnête, j’avais prévu un tout autre sujet pour cette marge #10. Et puis, j’ai été une fois de plus happée par la colère à la lecture des actualités de cette fin de semaine.

Une énième « chasse à l’homme » a débuté sur les réseaux sociaux. L’humoriste Seb Mellia a été accusé par une vingtaine de femmes de violences sexuelles, de viol, de rapports bien trop brutaux alors qu’ils  étaient originellement consentis. Un visage de plus sur lequel les victimes, toutes féminines, ont la volonté tremblante de mettre la lumière. J’ai découvert l’affaire par hasard à travers le compte de l’humoriste belge Florence Mendez, que j’avais déjà vue sur le plateau de l’émission « Piquantes » diffusée sur Teva et présentée par Nicole Ferroni. Une ligne éditoriale féministe, audacieuse et au ton qui donne tout son sens à son intitulé. 

Florence Mendez, qui avait déjà perdu en visibilité à son départ de la chaine télévisée, pour avoir traité ouvertement Gérald Darmanin de « violeur », a commencé par quelques posts qui interpellent brutalement sur le monde du stand up et de ses dérives. Puis elle a fait un live de 20 minutes, que j’ai regardé avec attention. Elle y explique avoir recueilli plusieurs témoignages de victimes, d’autres qui confirment que la chose se savait dans le milieu et, les yeux brillants, elle confie la difficulté de l’action qu’elle mène. Difficile de prendre la parole quand on préfèrerait que la justice fasse son travail. Difficile de raconter l’histoire de ces femmes terrifiées quand on aurait souhaité qu’elles soient sincèrement écoutées auprès des autorités compétentes. Difficile aussi, d’être celle qui dit ce qui ne veut pas être entendu, au risque de se faire banned shadow par son propre milieu, d’être dans la sauce psychologique, professionnelle et financière. « Je n’ai pas les moyens de ma politique » dit-elle. Tristesse absolue. Sa voix tremble et moi, je pleure doucement devant mon écran. Ces larmes, ce sont celles d’un coeur profondément brisé pour un sexe qu’aucune de nous n’avons choisi. Je me dis que l’affaire va être reprise par les médias, que même si elle finira par aller en justice, les journalistes vont en parler et non pas, comme le précise l’humoriste, pour présenter les faits comme une femme qui accuse un homme. Je ne trouve le sujet sur aucun grand site d’actualités. À l’heure où j’écris ces mots, Konbini vient tout juste (une quarantaine de minutes) de relayer l’affaire. Nous sommes dimanche, la première alerte date de jeudi. Quatre longs jours, dans le silence. J’ai suivi chaque épisode avec intérêt. Notamment, les salles de spectacles qui ne déprogramment pas un profil sur la sellette malgré les accusations pour se faire « petites » et ne pas contribuer à un soutien passif… puis les commentaires inblairables de la gent masculine sur les réseaux sociaux. Mais surtout, la haine qui grandit, la douleur qui s’infecte jusque’à nécroser l’espoir en nous. Je suis triste de l’intérieur et je me sens aussi sale et souillée que lorsque j’ai regardé, effarée, le « Complètement d’enquête » sur Gérard Depardieu, alors que je n’ai pas bougé de mon canapé. Dans ma tête, tous les souvenirs d’une trentaine d’années de vie où les regards, les mots, les gestes et les traitements défilent jusqu’à me donner une impression physique d’enveloppe poisseuse. Et cette colère, toujours cette colère qui gronde et qui aveugle jusqu’à une tolérance… zéro. 

« Présumé innocent »

Dans une réalité où l’égalité serait réellement un concept acquis, il n’y aurait aucun doute : aucune justice ne se fait par la peuple sous peine de partir en vrille. Elle se fait dans un tribunal et nous devrions tous être d’accord sur ce point. Dans notre réalité, elle n’est faite nulle part quand elle concerne le sexe féminin. Des centaines, voire des milliers, de féminicides, de violences sexistes et sexuelles laissées impunies ou calfeutrées dans un sursis qui ne protège plus personne. Dans notre réalité le président lui-même affirme ouvertement sur une chaine publique à heure de grande écoute que Gérard Depardieu « rend fier la France » alors que quelques semaines auparavant, on découvre l’acteur tenir des propos glaçants, que personne n’invente ou relate, à l’égards de femmes (incluant une petite fille de 10 ans) qu’il relaie au rang d’objets de désir. Dégueulasse. À gerber. Je ne sais pas de quelle France on parle, mais ce n’est certainement pas celle des 35 millions de femmes qui habitent dans ce pays. 

La présomption d’innocence, c’est une valeur dans laquelle nous pourrions croire si les années et les faits n’avaient pas eu raison de notre foi en la société. C’est une valeur que nous soutiendrions si elle nous avait soutenues en retour. Mais la vérité n’est pas là. On accuse plus facilement une femme de mentir qu’un homme de la violer. Bienvenue en 2024. Je suis dure, je sais. Mais souvenez-vous : toujours cette colère qui gronde et qui aveugle, jusqu’à une tolérance… zéro. 

Ce qui m’a particulièrement touchée dans les propos de Florence Mendez, ce n’est pas sa dénonciation bien qu’elle ait du lui demander un immense courage. C’est la façon dont elle a listé les conséquences et représailles bien réelles auxquelles elle s’exposait en menant une cause. Tout est bien vrai. La parole des femmes est encore remise en question bien qu’elle leur coûte. On ne parle pas d’avouer qu’on n’aime pas un plat au restaurant, on parle d’oser faire part d’une épreuve douloureuse. Comme si l’attention et l’argent pouvaient un jour panser ce genre de plaies. C’est bien la preuve que seules des personnes à qui ce n’est jamais arrivé peuvent tenir ce genre de propos. Et croyez-moi, elles ne sont pas nombreuses au pays du « Deuxième sexe » de Simone celles à qui « ce n’est jamais arrivé ». Le ratio, même à petite échelle, est effarant et je le vois tous les jours autour de moi. Certaines sont si lasses qu’elles ne s’expriment même plus, certaines retiennent la colère jusqu’à ce qu’elle leur explose à la figure, certaines n’osent plus et d’autres, dont je fais partie, ne peuvent survivre qu’en ne renonçant pas. Si je renonce à l’ouvrir, je signe mon acte de mort cérébrale. Car il y a bien une partie de nous qui meurt un peu plus à chaque fois que nous subissons une VSS. Et quand on arrête de les compter, il ne nous reste plus que la colère. Une colère qui gronde et qui aveugle, jusqu’à une tolérance….zéro. 

Dans notre réalité, vivre tous les jours en tant que femme est un combat que nous menons à la fois face aux hommes, mais aussi contre nous-même. Inutile de vous dire que c’est épuisant et que oui, parfois, nous perdons pied dans nos émotions, donnant des arguments supplémentaires à l’adversaire pour nous qualifier d’hystérique. D’ailleurs, je me souviendrai toute ma vie de ce cours de grec, un samedi matin au lycée, où j’ai appris que le mot hystérique était un dérivé du mot « utérus » qui se dit « hystera ». Bah voyons. Si j’ose me demander à quel moment de l’histoire de l’humanité ça a chié dans la colle niveau égalité des sexes, les vestiges de l’Antiquité ont fini par me donner une réponse. 

Il était une fois les êtres humains

Je me pose souvent la question. À quel moment avons-nous admis qu’il existait un sexe plus faible qu’un autre ? Lorsque nous naissons, nos corps sont identiques et nous avons toutes et tous, un sexe faible. Nous n’y prêtons aucune importance. Nos muscles sont similaires, notre cerveau se développe de la même manière et nos coeurs battent d’une seule et unique façon. À quel moment d’une vie, décide-t-on de ce qui va suivre ? Pourquoi la force est t-elle attitrée aux hommes, tandis que la douceur revient naturellement aux femmes ? Pourquoi la combativité revient aux premiers alors que la patience se trouve à la porte des secondes ? Quand je prend le temps d’observer les hommes et les femmes autour de moi, j’ai pourtant bien l’impression que celles qui grandissent dans un rapport de force et de combat permanent, ce sont les femmes. Elles portent littéralement la douleur de toute une vie dans leurs tripes avec une facilité presque dérangeante. La douleur d’être sous-estimée, la douleur d’être considérée comme moins qu’un homme, la douleur de pouvoir donner la vie, la douleur de la donner, la douleur d’endurer encore et encore un monde où elles seront toujours « deuxièmes ». On ne va pas se mentir. J’aimerais que tout ce que j’affirme fasse partie de l’ancien temps mais il n’en est rien. L’égalité fait son petit bout de chemin mais elle est encore très loin de franchir la ligne d’arrivée. L’égalité, la vraie, pointera le bout de son nez, le jour où une femme pourrait agir exactement de la même manière qu’un homme au quotidien sans qu’elle ne subisse de représailles de qui que ce soit. 

Lorsque je doute d’une de mes paroles ou d’une de mes actions, je me dis souvent « Laurie, si tu étais un homme, tu hésiterais là ? Il se passerait quoi ? » Et puis je me rend compte très vite qu’il n’y a aucun frein… quand on a un pénis. Et c’est probablement ce qui monte à la tête de certains depuis des siècles pour en arriver à utiliser ce dernier comme une force de la nature. Ne vous méprenez pas, je ne suis pas misandre. J’aime les hommes qui méritent. J’aime ceux qui sont doux, qui nous écoutent, j’aime ceux qui nous défendent, qui essaient de comprendre en se mettant à notre place, j’aime ceux qui nous prouvent que « non, pas tous les hommes »… même s’ils concèdent qu’il y en a quand même beaucoup. J’aime ceux qui veulent autant être un papa qu’une maman, j’aime ceux qui nous donnent confiance en nous et qui sont prêts à nous protéger tout en sachant que nous avons appris à le faire toutes seules. Ceux-là, je les aime d’un amour fou parce qu’ils sont la seule preuve actuelle que le féminisme n’entraine aucune perte de virilité, aucune perte de force ou de détermination. Un monde rempli de mecs féministes c’est… 

Tout ce que je pourrais souhaiter à ma fille

Si un jour j’étais amenée à devenir mère d’une petite fille, je voudrais qu’elle évolue dans un monde où les expressions « pleurer comme une fille » et « courir comme une fille » ne sonneraient plus comme une insulte. J’aimerais qu’elle puisse grandir avec la conscience totale que son corps lui appartient, de par sa taille ou sa largeur, que sa valeur n’est pas définie par le nombre de garçons à qui elle plaira. Je voudrais qu’elle n’ait pas à choisir sa façon de s’habiller en fonction du regard masculin ou du niveau de danger que cela induit. Je voudrais que la seule chose qu’il soit autorisé de lui briser, ce soit le coeur puisque la vie en est ainsi pour chacun d’entre nous et pas seulement les femmes. Je voudrais qu’elle puisse rentrer à pied même s’il est tard sans être emmerdée, suivie ou agressée. Je voudrais que jamais personne ne considère que sa morphologie l’empêche de se défendre face à un homme. Je voudrais qu’elle n’ait même pas besoin de se défendre, faute d’attaque. Je voudrais que jamais elle ne soit harcelée sexuellement dans un métro, qu’elle ne croise jamais le regard d’un homme qui se touche le sexe en la regardant en pleine heure de pointe sans que personne ne réagisse. Je voudrais qu’elle ne rentre jamais couverte de bleus après avoir fait l’amour, que jamais elle ne se réveille dans un lit inconnu au petit matin avec une sensation bizarre dans la bouche, je voudrais que jamais elle ne se demande si c’est parce qu’elle a été droguée hier soir. Je voudrais qu’en aucun cas, elle réalise un peu trop tard qu’un homme profite de son corps alors qu’elle était inconsciente, je voudrais qu’aucun homme ne profite d’elle physiquement sous prétexte qu’il pense en avoir le pouvoir, je voudrais qu’aucun homme ne profite d’elle physiquement, tout court. Je voudrais qu’elle n’ait jamais peur d’un geste violent, qu’elle ne se sente jamais faible face à lui, je voudrais qu’elle ne soit pas rabaissée dans le monde du travail et qu’elle gagne sa vie en fonction de ses compétences et résultats, et non en fonction de son sexe. Je voudrais qu’elle ne se sente pas obligée, après moult coups encaissés, de développer son énergie masculine afin de déstabiliser en permanence les potentiels agresseurs. Je voudrais qu’elle puisse être une femme, douce et forte à la fois, belle et fatiguée, intelligente et drôle, sans jamais s’excuser d’être qui elle est. Je voudrais qu’elle puisse être une femme libre, pour de vrai. Pas juste pour les campagnes marketing d’une élection présidentielle pompeuse et hypocrite. 

Bref, tout ce que je pourrais souhaiter à ma fille, c’est d’avoir envie de l’avoir sans crainte au lieu de lui préférer un garçon pour qui j’aurais, comme aujourd’hui, la certitude que tout sera - toujours - plus simple. 

la marge.

Par Laurie Planes

Les derniers articles publiés