Jour 1, article numéro 1.

Bref, j'ai repris mon stylo, ou mon clavier.

la marge.
4 min ⋅ 03/09/2023

Ce nouveau projet, je le mûris depuis plusieurs mois. Il est né d’une envie criante qui m’a saisie les tripes comme un appel du coeur qui se serait perdu dans mon estomac. 

Elle était restée rangée depuis bien trop longtemps. Et mes pensées, elles, avaient faim. Soigneusement posée dans le tiroir d’un secrétaire invisible, ma plume était cependant ravie d’être de sortie de temps à autre à l’occasion d’un ou deux posts Instagram, alors que je m’assurais qu’elle était toujours fonctionnelle. Un peu rouillée, douce ou piquante selon la manière dont on la réceptionne, force est de constater qu’elle n’avait pourtant pas dit son dernier mot. Et elle a trouvé un moyen de le faire entendre. 

Je suis officiellement journaliste depuis 8 ans. Officieusement, depuis toujours. 

Petite, je posais trop de questions et commentais tout ce qui croisait ma route. Ado, je noircissais les pages de multiples agendas en racontant, sous forme de reportages emplis de détails inutiles, mes journées de collégienne. À 17 ans, j’entreprenais l’écriture d’un roman plein de pensées bizarres basées sur le concept branché (2009 is calling*) mais toxique de Lolita Pille : « Vivre d’amour, d’Evian et de Marlboro light, et croire que cela suffit ». 80 pages de torture, toujours présentes dans mon ordinateur, bien au chaud dans un dossier que j’ose à peine ouvrir de temps à autre pour me rappeler que cette version de moi est ce qu’elle vaut, à savoir stockée sur un cloud. À 20 ans, j’écrivais encore dans un journal pour décompresser d’une histoire d’amour intense et chaotique. À 22 ans, je changeais de thème et je me lançais dans un blog qui sonnait faux pour me donner du courage dont, je réaliserais plus tard, je n’avais pas besoin. À 24 ans, j’avais enfin appris comment dompter l’encre, le tout ironiquement sur un clavier d’ordinateur.

Diplômée. J’étais diplômée et autorisée, aux yeux du monde, à utiliser mes mots pour prêcher la pensée des autres, mes phrases pour décrire les exploits de personnes que je ne connaissais pas et pour commenter les évènements auxquels je n’avais même pas assistés. Risible.

Pourtant, ça semblait rassurant, et louable aussi. Faire enfin partie d’un tout, écrire pour être lue, apprendre aux autres sans expérimenter soi-même. La petite voix dans ma tête hurle désormais au Kamoulox. 

Avant que vous ne notiez mon aigreur sur une échelle de 0 à 10, sachez que j’aime mon métier. Passionnément. Utiliser la manière de communiquer la moins agressive de mon répertoire et être payée pour ça est probablement l’un des paris gagnés dont je suis la plus fière. 

J’ai d’ailleurs eu un débat assez houleux à ce sujet avec un sportif professionnel - qui, notons-le à titre anecdotique, tentait de se faire passer pour un contrôleur fiscal - dans une boîte de nuit aux allures de cour des miracles. Bien sûr, il était 4 heures du matin et bien sûr, je n’étais pas de toute première fraîcheur. Je me souviens avoir été révoltée, offusquée, agressée par son idée que le journalisme n’était que le commentaire d’actes et paroles réalisés par des personnes bien plus courageuses que moi. « Tu ne fais rien, tu te contentes de relayer ce qu’un autre a les c******s de faire. » L’orgueil en bandoulière, le poids des sacrifices faits ces dernières années pour faire le métier de mes rêves et mon tempérament un peu trop sanguin de fille du sud ont eu, je crois, raison de mes arguments les plus respectables. Je n’ai plus aucune idée de la manière dont je me suis défendue à ce moment-là mais je ne suis toujours pas d’accord avec ce point de vue à l’instant où je rédige ces quelques lignes. Écrire, c’est agir. Je n’irai pas jusqu’à chercher l’origine du premier journaliste sur Google mais je suis quasi-sûre qu’il date d’avant Jésus-Christ, car relater pour informer, c’est quelque chose d’aussi naturel chez l’homme que d’insulter quelqu’un qui ne met pas correctement son clignotant en plein mois d’août dans une zone touristique. Et puis, il y a l’inquisition qui secoue (coucou #MeToo), les textes qui dénoncent et ceux qui font réfléchir. Alors de la même manière que c’est le sportif qui court sur un terrain qui fait avancer la balle, que c’est l’artiste qui monte sur scène qui berce nos vies par sa voix dans le micro, que c’est le chef qui cuisine qui réveille nos papilles et nos sens… c’est aussi la main qui tient la plume qui écrit l’histoire. 

Aujourd’hui, je n’ai plus 17, 20 ou 24 ans. J’en ai 31 et après plusieurs voix ‘imposées’, ma plume n’a plus vraiment envie d’être un bon petit soldat. Peut-être qu’elle préfère devenir son épée : incisive, tranchante, agile et libre de fendre l’air (ou l’ennemi) comme bon lui semble. Il faut dire qu’elle me chatouille depuis des mois, l’insoumise. « Laurie, Laurie… laisse-moi y aller, même un tout petit peu, même pour quelques mots. » J’ai cédé. Avec pour seule condition de lui laisser un espace que j’affectionne particulièrement : un espace présent mais peu visible, un espace qui permet d’être au coeur des choses mais à l’écart, un espace qui autorise les erreurs, où le commentaire est roi et l’avis, totalement subjectif. Un espace réservé à ce qui doit être lu pour comprendre, un espace voué à l’observation où l’échec n’est que leçon. 

Cet espace, c’est la marge. 

Et bien que cette idée bizarre m’ait fracassée un soir d’avril pendant que je cuisinais (mal) des courgettes, sachez qu’il n’y a pas d’endroit plus évident où je voudrais me trouver actuellement.

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la marge.

Par Laurie Planes

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