À nos trente-deux, Bridget !

Tout a commencé avec un statut Facebook. En 2014, je publiais innocemment « À tout moment, si je ne m’active pas, Bridget Jones, c’est moi dans 10 ans ». Je ne croyais pas si bien dire.

la marge.
6 min ⋅ 17/03/2024

À l’aube d’une nouvelle année au compteur, je réfléchis toujours un peu sur ce qui a changé durant les 12 derniers mois. C’est mon rituel intime, c’est mon rituel ultime. Fière de considérer sérieusement mon développement personnel, cela me permet de faire le point sur ma capacité d’évolution. “Sévère avec les autres, intransigeante avec moi-même” est un leitmotiv de plusieurs années. Mais pour celle-ci, je décide de m’aborder avec un peu plus de douceur et de compassion. Tourbillon de changements et d’épreuves oblige, je n’en ressors pas intacte mais c’est pour le meilleur. Et puis, un soir de cette semaine, du fond de mon lit en pleine insomnie, je m’évade dans le passé, à l’aide de ma bibliothèque de photos de téléphone où je retombe sur un screen risible. Un statut Facebook, posté en 2014, comme une promesse (ou plutôt une prédiction) qui stipule mot pour mot : « À tout moment, si je m’active pas, Bridget Jones, c’est moi dans 10 ans ». Je pose le téléphone sur ma poitrine, je regarde le plafond et j’explose de rire. Histoire vraie. Putain, je vais avoir 32 ans. 32 ans, c’est l’âge qu’a l’héroïne dans le premier tome de la saga, dans le premier film. 

« Le Journal de Bridget Jones » est sorti en 2001 et je me souviens très nettement qu’on avait le DVD à la maison. Ma mère adorait ce genre d’histoires, elle lisait même les livres. Ce qui est drôle, c’est qu’en 2001, j’avais 9 ans, ma mère en avait 35, et j’imagine qu’elle se reconnaissait plus dans le personnage que moi à l’époque. Je me souviens avoir regardé la comédie sans tout comprendre, mais en trouvant Bridget vachement rigolote, et surtout, très attachante. Dès lors, c’est devenu un de mes films de meuf préférés. Je le regarde au bas mot, une fois par an, en enchainant évidemment avec « L’âge de raison » et « Bridget Jones Baby ». Je ne peux décemment pas entendre la chanson « Respect » d’Aretha Franklin sans penser automatiquement à cette scène de démission mémorable, magnifiquement orchestrée, où Bridget annonce en plein open space préférer « torcher le cul de Saddam Hussein » plutôt que de continuer à travailler pour son ex, Daniel Cleaver. Ça ne rate jamais, la synchronisation du dialogue et de la musique me donne envie de tout plaquer de la même manière. Mais ce qui m’intrigue dans mon raisonnement désormais, c’est que mon avis sur le personnage a connu une évolution progressive. Probablement autant que moi. 

From « sale prédiction », to « meilleure ambition »

Il y a encore dix ans de cela, lorsque je posais mes fesses en jogging devant ce film, je rigolais déjà. Ceci dit, tout le caractère humoristique du long métrage est basé sur le cliché absolu de la trentenaire célibataire qui pousse un peu trop sur la boisson, qui passe sa vie à essayer de perdre du poids, qui a une situation professionnelle instable et surtout, qui désespère de ne pas trouver l’amour. Sans mec à 32 ans, sans carrière admirable, pilier de bar absolu et incapable de perdre ces 10 kilos en trop ? Mon dieu quelle horreur. « J’espère que je ne vais pas en arriver là » ai-je du penser de tout ça. Eh bah mon vieux, j’espère que la claque que la Laurie de 20 ans s’est prise lui a minimum décroché la mâchoire parce qu’avec un raisonnement pareil, c’est bien mérité. Le truc, c’est qu’elle n’y est pas forcément pour grand chose. Elle a cru ce que des décennies de société patriarcale lui ont mis dans le crâne. Miskina. C’est un fait, plus les années se sont écoulées depuis ces instants-là, et plus mon point de vue a changé. Passés 28 ans, j’ai commencé à reconsidérer Bridget Jones. Ce que je commençais à entrevoir, c’était une femme en quête de la meilleure version d’elle même, avec beaucoup de sincérité. Alors oui, il y a des failles, il y a des ratés mais il y a surtout beaucoup de tentatives et ça, toutes les héroïnes modernes ne peuvent pas forcément s’en vanter. 

Enfin lorsque j’ai regardé le film l’année dernière, mon regard sur cette petite blonde londonienne avait déjà totalement changé. Déjà, contrairement à ce que j’ai pu penser par le passé, je ne comprenais pas pourquoi elle était considérée en surpoids. Elle a des jolies formes, Bridget. Elle doit faire un 40, tout au plus, et surtout, SURTOUT : elle a une super culotte pour galber le tout dans une robe un peu trop fourreau. Et ça, je veux bien parier qu’on l’a toute achetée depuis. D’ailleurs, les grandes enseignes de lingerie proposent énormément de modèles taille haute et sculptants qui nous permettent de nous sentir un peu mieux dans des vêtements coupés (finalement) de façon discutable, le tout sans s’empêcher de respirer. On peut en parler d’ailleurs de cette culotte ? Tout un débat dans les années 2000 opposant le confort et la confiance en soi (la gaine) au cliché absolu de ce qui est considéré comme sexy par la gent masculine (un string léopard) ? Première conclusion moderne : ce qui est franchement sexy, c’est une femme qui se sent bien. Et si elle se sent bien avec une culotte comportant beaucoup plus de tissus que prévu, c’est ok. D’accord ? Mais s’il n’y avait que ça.

Je me souviens nettement m’être dit que « la pauvre, ça ne doit pas être facile d’être l’une des seules célibataires de son cercle ». M’enfin, quand on regarde la tronche des gens en couple autour d’elle, jonglant entre dépression, anxiété et un si gros taux d’ennui que leur seul centre d’intérêt, c’est de savoir pourquoi elle est seule, elle… vous pensez sérieusement qu’il vaut mieux se situer de quel côté ? Et sa mère, qui en rajoute une couche, alors que paradoxalement elle coche toutes les cases de la sexagénaire moderne qui redécouvre sa sexualité et ses envies, après bien trop de décennies d’un mariage qui l’a éteint ? Bon, l’amant en question est bon à jeter, mais assumer ses désirs et bien les orienter, ce n’est absolument pas la même chose, soyons clairs. Enfin, le point fatidique de ses sempiternelles résolutions pour arrêter de boire et de fumer qui ne tiennent jamais bien longtemps. Dans le film, cela sous entend qu’elle n’a aucune volonté et que, finalement, il ne lui reste plus que ça. Sans compter que cela lui prête des traits de bonhomie, de caricature un peu trop virile, en parfaite opposition avec ce qu’il faudrait pour - in fine - trouver un mari. Elle boit, elle fume, elle ne sait pas cuisiner, elle a un peu de kilos en trop et aucune volonté. Un joyeux combo, me direz-vous. 

Pourtant, ce que je vois avec le recul, c’est une jeune femme qui se donne des défis pour aller mieux. Comme je le disais plus haut : il y a des tentatives. Et ça, ça va quand même bien à contre-courant de ce qu’on peut voir des héroïnes de comédies romantiques classiques autour desquelles les points de l’amour propre et de l’évolution personnelle ne sont même pas abordés au profit d’une romance cul-cul la praline qui est censée résoudre toutes leurs « issues » à leur place. 

Pour finir, son rapport aux hommes. Évidemment que Bridget craque pour le queutard de service, au trop grand bagout qui finira par la prendre pour une idiote. Évidemment, qu’elle n’envisage même pas une seule seconde ce mec un peu froid et discret - coucou Mark Darcy - qui ne manque pourtant jamais de la saluer et d’être parfaitement honnête avec elle. Et ce dernier, que je n’aimais pas spécialement dans ma vingtaine, représente finalement le Man goal absolu du haut de mes 32. N’oublions pas que l’héroïne est considérée comme un dégât en mini-jupe trop serrée. Elle ne joue aucun rôle de séduction face au personnage interprété par Colin Firth, et c’est probablement parce qu’elle est désintéressée et elle-même que celui-ci finit par lui faire une déclaration d’une raideur très humour-anglais mais non pas moins iconique : 

Je ne vous prends pas pour une demeurée… Je ne prétends pas nier qu’il y a une certaine part de ridicule en vous. Votre mère est assez étonnante, et vous êtes d’une nullité incroyable quand il s’agit de parler en public. Je reconnais que j’ai été d’une grossièreté impardonnable à la Dinde au Curry … et je portais un pull-over en tête de cerf.. dont ma mère m’avait fait cadeau la veille … mais … ce que je m’efforce de vous dire, d’une manière très confuse … c’est que.. malgré ce que les apparences peuvent laisser croire, c’est un fait : je vous aime beaucoup. Telle que vous êtes.

Oh wow, les bras m’en tombent. Ne serait-ce pas ça le vrai romantisme ? De la simplicité, de l’honnêteté, supplément maladresse ? En plus n’oublions pas que Mark ne porte aucun jugement sur ses (in)capacités culinaires, tournant la scène de la soupe bleue au comique absolu. Il ne prend pas la mouche en tombant sur son journal (où elle le traite gentiment de connard), et lui donne une putain d’exclu alors qu’elle galère en plein reportage pour son nouveau travail. Non décidément, vous ne me ferez plus penser une seule seconde que Bridget est à pleurer. Bridget, c’est finalement et depuis toujours, une putain de queen. 

Trente-deux, etc…

Nous y sommes, le 20 mars prochain, Bridget et moi aurons le même âge. Et probablement, un parcours plutôt similaire. Et si j’aurais considéré cela comme un échec quelques années plus tôt, j’en suis plutôt très fière aujourd’hui. Je n’aurais pas pu rêver de meilleur mentor ou de meilleur exemple. 

Bridget nous apprend qu’il n’y a pas d’âge pour trouver l’amour. Elle nous apprend que rien ne nous empêche de quitter une table où le respect n’est plus servi. Elle nous montre à quel point c’est charismatique de rester soi-même et qu’on y gagne du temps aussi, puisque le naturel revient toujours au galop. Elle nous confirme que le ridicule ne tue pas et qu’il a même plutôt son charme. Elle nous prouve que la vie peut être surprenante à chacun de ses carrefours. Elle nous encourage à prendre soin de nous en essayant d’adapter notre mode de vie. Et elle nous apprend surtout que ce n’est pas grave d’échouer tant qu’on essaie. 

Quant à moi, qui avoue sans honte dans cette newsletter que j’ai cru un jour que ressembler à Bridget Jones était un pur échec, elle m’a appris une chose qui prend tout son sens à la fin de l’écriture de ces quelques lignes : oui, elle a bien 32 ans dans le premier film… qui n’est finalement que le début de l’histoire qui nous a été racontée dans la saga. Pas la fin, ni le milieu. 

PS : D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez suivi mais un quatrième film est en préparation, et je suis plus que joie. 

la marge.

Par Laurie Planes

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