Est-il politiquement correct de faire une raclette tout.e seul.e ?

Je vous ai promis de poser les vraies questions de la vie, non ? La saison du fromage dégoulinant est officiellement ouverte et il serait (très) bête de s’en priver. Mais devant le caractère « collectif » de la chose, je ne peux m’empêcher d’y entrevoir un éloge de la solitude. Explications.

la marge.
6 min ⋅ 12/11/2023

Le sujet de cette semaine peut paraître tout ce qu’il y a de plus anodin et pourtant, il soulève une véritable question. Il y a quelques jours, j’ai fait ma première raclette de l’année en compagnie d’un couple d’amis. La pulsion fromagère a été immédiate et intense. Nous étions tranquillement en train de fixer de nouvelles étagères décoratives dans mon salon sans plan particulier pour le dîner quand soudain… la phrase percutante « j’ai trop envie d’une raclette » a surgit de ma bouche. L’engouement a été collectif (comme c’est souvent le cas) et l’idée de départ a pris vie assez rapidement, négociant un détour par le fromager du quartier pour improviser ce moment de partage en bonne et due forme. Cependant, lorsqu’avant de quitter mon appartement, j’ai admis que si la proposition n’avait enchanté personne, j’aurais opté pour une raclette en solo, la question « t’as déjà fait une raclette toute seule ?! » est survenue de façon risible. La réponse était pourtant oui. J’ai déjà fait à plusieurs reprises une raclette en tête à tête avec moi-même. L’appareil adapté à la taille de mon appartement parisien, incluant 4 petits poêlons, n’a pas à avoir honte de son utilisation tantôt collective, tantôt individuelle et je dois avouer être ravie de ne dépendre d’aucun de mes amis lorsqu’il s’agit de se laisser tenter. En revanche, j’ai noté le manque de sens innocent dans cette question initiale. 

Alors oui, la raclette fait partie de ces plats à l’imaginaire collectif, presque collaboratif, qu’il est quasiment impensable de ne pas partager avec quelques amis. Pierre ramène la charcutaille, Paul les pommes de terre et Jacques, le fromage. Quel bonheur de s’installer autour d’une grande table (tout est relatif si vous habitez à Paris), avec seulement quelques gestes de préparation qui ne nécessitent pas d’avoir fait Top chef, pour se remplir la panse jusque’à ne plus pouvoir bouger qu’en roulant d’un endroit à l’autre. Finalement, le plus chiant dans tout ça, c’est le temps d’attente pour la cuisson des pommes de terre. Et encore, je peux vous recommander les sachets spécialement conçus pour le micro-ondes. 7 minutes et on en parle plus. 

C’est pourquoi le regard étonné et le sourire moqueur de mon interlocuteur ne m’ont absolument pas vexée. Oui, dans l’imaginaire collectif, faire une raclette seul.e a quelque chose qui relève de la tristesse. Après tout, la seule raison pour que cela arrive, c’est de manquer d’amis ou d’opportunités puisque comme je l’ai dit plus haut, tout le monde est toujours partant pour s’en faire une petite. 

Et c’est là que ma réflexion diverge des généralités. Les quelques fois où j’ai opté pour la version solo de la chose, c’était de mon propre chef, et non par dépit. J’ai sorti, sans vergogne, mon appareil préféré, sans en parler à personne, profitant de tous les poêlons comme une grosse égoïste affamée que je sais être en privé. Résultat des courses : je n’ai pas eu à attendre mon tour et faire preuve d’une patience qui coûte parfois beaucoup à mon passif de fille unique, tout ça pour construire une montagne de fromage à la cuisson parfaite qui aura raison de ma motricité ultérieure. 

J’ai pu remarquer avec les années que la notion de solitude pouvait être plus sévère encore dans le cadre de la gastronomie. Même Maxime Le Forestier exprime cette notion du partage admis dans les paroles de sa célèbre chanson « San Francisco », véritable hymne à l’amitié et aux rapports humains en toute simplicité : « on se retrouve ensemble, après des années de route et l’on vient s’asseoir autour du repas, tout le monde est là à cinq heures du soir ». Bon, 5 heures c’est un peu tôt pour bouffer, mais ça c’est un autre sujet. 

Humainement parlant, manger en groupe est la preuve ultime d’interaction sociale, quitte à conditionner même parfois certaines cartes de menu. J’ai un exemple flagrant qui pèse sur mes souvenirs : étant une fan incontestable de paella, je me suis retrouvée à de nombreuses reprises dans l’incapacité de commander mon plat favori dans des restaurants où je me rendais avec ma meilleure amie, sous prétexte unique que la seule proposition commercialisée incluait deux personnes. Malgré tout l’amour que je lui porte, mon petit chat préféré déteste ce plat. Et après avoir essayé pendant des années de contourner la loi des établissements, j’ai abandonné, préférant opter pour mon second choix sur la carte. Ça, c’est la véritable tristesse, je vous l’affirme. 

C’est dans ces moments précis que je comprend que mon apprentissage de la solitude positive a atteint probablement un niveau confirmé puisque je ne trouve aucun sens légitime à ce genre de pratique. 

Prescription : prendre soin de toi au quotidien. 

Mon contexte personnel actuel fait que je passe énormément de temps toute seule. Les jours passent et se ressemblent fortement. Le fait est que c’est mon médecin lui-même qui a prescrit repos et activités plaisantes pour ma petite personne. Le but ? Prendre du temps pour moi et me recentrer. J’ai toujours eu beaucoup de mal à définir cette expression que tout le monde semble prôner. Mais ça veut dire quoi concrètement « prendre du temps pour soi » dans une société et dans une ville où l’on attend de nous un rythme effréné et une sur-sociabilisation constante ? À ce jour, je n’en ai toujours aucune idée. Mais ce que je sais, c’est qu’alors que mon entourage proche n’a plus du tout le même planning que moi, je dois trouver de quoi occuper mes journées qui se rapprochent toutes d’un dimanche éternel. Parfois, je m’enroule dans un plaid en pilou-pilou et je m’endors toutes les heures devant des téléfilms de Noël, parfois je me laisse tenter par des activités créatives et des travaux manuels et parfois, je ressens le besoin de sortir prendre l’air.

Mais cette période particulière a également renforcé les bases grandissantes d’une pensée que j’avais déjà : c’est absolument génial de partager des moments conviviaux avec les gens que l’on aime mais c’est tout aussi incroyablement salvateur de partager des activités agréables… avec soi-même. Être confronté.e à la solitude n’est en rien qualifiable de véritable âme en peine. Et si cela vous parait tristouille d’aller au restaurant en votre propre compagnie (et celle d’un bon bouquin pour limiter le rapport aux écrans), ou d’aller au cinéma sans avoir personne à qui faire des commentaires (je ne parle jamais pendant les films, je m’en moque un peu), sachez qu’il n’en est rien. Il y a une sorte de sérénité et de puissance dans l’idée même que l’on soit à l’aise avec le fait de faire des activités seul.e, alors que la conscience collective voudrait qu’elles soient toujours partagées. Être capable de passer du temps avec soi-même, ne pas avoir besoin de témoins pour ancrer un moment dans notre réalité ou encore trouver une profonde satisfaction dans le silence et l’absence d’avis d’autrui, c’est aussi contribuer à se donner tout autant d’importance que l’on pourrait en offrir aux gens qu’on aime.

C’est vrai quoi, pourquoi est ce que l’on ne pourrait pas s’auto-chérir pour accéder à un peu de joie ? Pourquoi y’a t-il certaines choses que l’on n’imagine faire qu’accompagné.e ? Pourquoi serait-ce (plus ou moins) admis d’aller visiter un musée seul, mais pas de faire une raclette ? Peut-être que les clichés ont la vie dure, me direz-vous. Mais heureusement pour nous, l’importance donnée au temps que l’on s’accorde individuellement est de plus en plus prise au sérieux. En ce moment, je lis un ouvrage populaire sur les relations amoureuses. Il s’agit du second livre de Jay Shetty dont le titre est « Les 8 lois de l’amour ». L’auteur britannique d’origine indienne et ancien moine bouddhiste star des réseaux sociaux, prône dans sa première loi, le rapport à la solitude et au célibat que chacun devrait avoir afin d’aimer plus sereinement l’autre, dans un second temps. Pour moi, tout a raisonné très fort. La solitude, c’est la base ultime de ce que l’on pourra être capable de donner aux autres et d’être, en leur compagnie. Si vous-même n’êtes pas capable de vous supporter, pourquoi attendre des autres qu’ils le fassent ? La logique est implacable. Et ça me ramène à mon constat final, largement acté dans ma personnalité depuis quelques années : le corps, l’esprit et le coeur ont besoin de recharger leurs batteries pour que vous puissiez rester vous-même. 

Une relation saine avec soi-même renforce celle que l’on peut avoir avec les autres

Il n’y a pas longtemps encore, la majorité des gens pensaient qu’il n’y avait que deux types de personnalité sociale : les introvertis et les extravertis. D’un côté, les timides solitaires qui aiment rester casaniers, de l’autre, les fêtards invétérés qui ne tiennent pas en place deux secondes sans avoir leur contact humain quotidien. Pour ma part, je n’ai jamais trouvé ma place précise dans l’une de ces deux catégories. La majorité le sait, par exemple, j’aime tout autant profiter de mon entourage comme bon me semble plusieurs fois par semaine, mais le dimanche, c’est sacré. Il est mon jour de « récupération sociale ». Je ne sors pas de chez moi, même s’il fait beau, même s’il y a un évènement particulier, même si vous m’insultez sans relâche par message. À l’origine de cette habitude, j’imagine une gueule de bois hebdomadaire dans une ville où tout est fermé et il n’y a rien à faire. La belle excuse. Mais en habitant à Paris, où le concept même du brunch dominical est roi, j’ai pu remarquer que j’avais foncièrement besoin de faire perdurer ma pratique chérie. En effet, si je ne profite pas de ce jour de solitude, je suis automatiquement imblairable la semaine qui suit. Testée et approuvée par mon entourage : on ne recommande pas cette expérience.

C’est là que j’ai découvert la catégorie des gens « ambivertis ». Cette tranche sociale dont le nom est assez évocateur, désigne en effet les personnes qui balancent en permanence entre les deux premiers clichés cités précédemment et qui ont tout autant besoin des deux cas de figure pour se sentir épanouies. Tout est une question d’équilibre pour pouvoir être la meilleure version de vous-même. Autre exemple, j’ai une étrange et puissante addiction à la musique. J’ai pu remarquer que si je suis accompagnée pendant plusieurs jours par des personnes de qui je n’ose pas m’isoler pour mettre mes écouteurs un laps de temps, je suis moins concentrée et attentive à leur égard. Je n’ai pas envie de les écouter, tant ma batterie sociale a été trop stimulée sans que j’aie pu me réfugier dans mon cocon. Et il se peut même que le moment passé ensemble finisse gâché par une suréaction de ma part, due à une fatigue psycho-sociale mal maitrisée. 

Voilà pourquoi préférer rester chez soi, ou faire des activités qui ne nécessitent aucun échange me parait bénéfique dans les moments qui suivront et je ne m’en cache pas. Je parais parfois abrupte dans ma manière de faire mais c’est tout simplement que je n’ai plus de batterie pour mettre les formes (et Dieu seul sait que ce n’est pas mon point fort, même quand je suis au max). 

En écrivant ces mots, j’ai presque l’impression que la boucle est bouclée. Vous savez pourquoi ? Je repense à ces raclettes dévorées seule devant Netflix et me rappelle qu’à chaque fois, je n’ai jamais autant apprécié celles qui ont suivi… en bonne compagnie. 

la marge.

Par Laurie Planes

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