Le cas Jeremy Allen White.

Il incarne à lui tout seul la complexe évolution du désir. Du mien en tout cas. Et il m’a fallu plus d’un mois et quelques heures d’analyse de ma propre réflexion pour en arriver à la conclusion exposée dans cette marge #13.

la marge.
5 min ⋅ 25/02/2024

4 janvier 2024. Instagram s’enflamme. Emoji « j’ai chaud », emoji « dégouline », emoji « flamme ». Je vois ce petit cul blanc en long, en large, en travers sans savoir à qui il appartient. La musique « You don’t own me » de Lesley Gore fait partie de ces classiques vintage dont je ne me lasse pas. Une story, deux stories, trois stories. Ça devient chaud par ici. Et comme je suis curieuse (et un peu journaliste), je décide de me pencher sur le dossier, puisqu’apparemment, c’est celui du jour.

Je découvre que la vidéo en question n’est autre qu’une pub Calvin Klein. J’observe tout. L’esthétique de l’image, la courbe des muscles du main character, l’élastique du boxer et ses environs, et son visage… qui m’est absolument inconnu au bataillon. Jeremy Allen White. Ce nom ne me dit rien et pourtant je regarde le spot une bonne dizaine de fois pour tenter de comprendre ce qui provoque autant de houle digitale. D’accord, le mec est gaulé, il se déplace au ralenti et il a visiblement grande hâte de se dévêtir pour s’allonger d’urgence en caleçon (et baskets) sur un canapé posé sur un toit. Une fin de journée classique, me direz-vous. 

Une trend sur Tiktok voit même le jour : des meufs filment leur réaction face à la vidéo en question. Et moi je rigole nerveusement, tellement je ne comprend toujours pas. Je regarde son visage, il n’a rien de particulier, je me fais même la remarque qu’il n’a pas de menton malgré de beaux yeux bleus. Est-ce peut-être l’attitude nonchalante de ses gestes qui excite ? Aucune idée, mais si c’est le cas, ça me laisse de marbre. Et puis j’oublie. 

16 janvier 2024. Je me cale sur mon bureau, prête à entamer ma veille média du jour. Les principales informations qui circulent concernent les récompenses des Emmy Awards dont la 75ème cérémonie avait lieu la veille. Deux séries se démarquent : « Succession » et « The Bear ». Et je n’ai regardé aucune des deux : une journaliste culture en carton pâte mais comprenez-moi bien, j’avais une intégrale de "Gilmore Girls” à terminer. Sauf que voilà, je remarque que partout où finissent mon regard et le curseur de ma souris, il y a ces noms. 

Je ne sais pas si c’est l’appel du mouton en moi ou le réflexe de première de la classe mais je décide de me lancer - in the name of mon travail - dans la série « The Bear » après avoir jeté un coup d’oeil au synopsis. Ça parle d’un chef cuisinier, de Chicago, de bouffe, le tout dans une ambiance dramatique qui a valu pas mal de récompenses aux acteurs. Le soir même, j’allume ma télé, connecte Disney + et me lance dans un visionnage qui, au départ, ne promettait aucune ardeur. Dans ma tête, un seul refrain : « putain ça a l’air chiant comme la pluie. »

« Yes Chef, say it back »

Bon, la manière de filmer, caméra sur l’épaule, me change totalement de séries de pépette que j’ai pris l’habitude de regarder. Les contrastes sont forts, les plans s’enchainent, la luminosité est assez morne et la playlist un peu faible. Sur le papier, ça ne donne pas envie mais je fais un effort pour suivre l’intrigue.

Je retrouve alors, dès les premières minutes, ce visage dont tout le monde parle. Et il ne me provoque toujours rien. Il n’a vraiment pas de menton, ce garçon. Je comprend vite que le ton dramatique de la série n’est pas une exagération de ma part : un chef étoilé revient dans son Chicago natal pour reprendre le restaurant/snack merdique laissé par son frère défunt avec supplément dettes. La première chose qui m’interpèle alors, c’est curieusement la tenue du personnage principal. Je le préfère largement vêtu de son t-shirt blanc en coton, surplombé modestement du célèbre tablier bleu marine de cuisine, porté IRL par les jeunes chefs… que dans son slip en coton/polyester. Ses cheveux sont en bataille (et heureusement, car le mince aperçu que l’on a de ses tentatives capillaires de passé gastronomique sont catastrophiques) et son jeu d’acteur reste impressionnant. Nerveux et insipide à la fois, le personnage de Carmy économise ses mots et ne me parait pas aussi sympathique que ce que j’en attendais par habitude. Je suis toujours dans l’incompréhension face à son regard mollasson… jusqu’à ce qu’arrivent les premières images de cuisine. Les plans serrés sur les ingrédients, les plats, la gestuelle précise et forte… et mon coeur qui commence doucement à battre la chamade. Si je trouvais ses biceps exagérés quelques minutes plus tôt, je leur trouve désormais une raison d’être et une utilité : couper, mélanger, dresser. Et me voilà, glissant lentement vers une fascination totale pour le bonhomme. Il n’a peut-être pas de menton, mais soudain il a un truc qui m’intéresse : il sait faire quelque chose, dont je suis totalement incapable. C’est précis, créatif, goûtu et militaire. Absolument sexy. Apothéose de l’excitation cérébrale : ce moment où il apprend à sa nouvelle équipe la politesse des grandes cuisines, le fameux « Yes chef. Say it back », dont le sous-entendu sexuel n’a pas échappé à l’équipe marketing de la série qui n’a pas manqué de jouer avec pour les affiches promotionnelles. Très vendeur, très tchatcheur. 

Maturation du désir

D’usage, on parle de maturation pour la viande, les vins et le fromage, et de maturité pour l’être humain. Mais dans ce cas précis, le jeu de mot était bien trop tentant. Loin de moi l’envie de comparer le fessier de Jeremy Allen White à un steak Black Angus mais j’y vois un paradoxe risible dans le constat que j’ai fait de mon ressenti face à cette personne. 

J’ai trouvé curieux le fait d’être parfaitement insensible à un corps quasi-dénudé dont le nombre de muscles est difficile à compter et dont chaque mouvement est pensé pour provoquer le désir féminin. Si j’avais eu vingt-ans aujourd’hui, j’aurais probablement été la parfaite cible. Plus jeune, je raffolais des muscles, des abdos et des fessiers bien bombés. C’était pratiquement un critère non-négligeable pour que je me laisse tenter. Je trouvais l’harmonie du corps masculin semblable aux apollons de l’Antiquité et j’étais conquise. Des corps durs comme du béton, alors que le mien a toujours été plutôt confortable sur le rebond (c’est joliment dit, pas vrai ?). 

Tout au long du visionnage des deux saisons de « The Bear », mon attirance a crû et pourtant, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire « il est trop musclé, ça doit faire mal » (je ne préciserai aucun contexte mais votre imagination va faire le travail à ma place). Il n’était donc pas simplement question du corps, c’était plutôt ce qu’il en faisait… contrairement à la pub Calvin Klein. C’est alors que j’ai compris que ce qui suscitait mon attirance n’était plus si prévisible, c’était le geste plutôt que le bras. 

Il faut dire que jusque il y a quelques années, j’en avais vraiment rien à faire de la cuisine. Amatrice de bons plats bien lourds et de ce qui délivre une sensation facile de satiété, je ne me suis jamais préoccupée de mes papilles gustatives et de mon palais. Miss coquillettes-jambon en personne. Chez moi, ça cuisinait très peu ou pas du tout, je n’ai donc pas eu d’éducation à l’art de se mouvoir entre les marmites et les casseroles.

Sauf que voilà, il y a trois ans, j’ai été jetée professionnellement dans un monde inconnu : la gastronomie française. Fou rire à tous les étages. On ne va pas se mentir, je ne connais même pas le nom de tous les fruits et légumes. Soyons honnêtes, le premier truc qui a attiré mon attention à ce moment-là, c’était le nombre de chefs, hommes. Hyper paradoxal si on suit le train joyeux des clichés patriarcaux selon lesquels « c’est Madame qui cuisine ». J’aurais beaucoup trop de choses à dire à ce sujet mais les gars, ne vous dispersez pas, c’est pas le sujet de cette NL. Le sujet de cette NL, c’est comment Jéremy Allen White incarne à lui tout seul le guide de la sexy attitude en coupant des carottes et il s’agirait de ne pas l’oublier. 

Voilà l’une de mes plus précieuses découvertes de ces dernières années : la cuisine, c’est hyper sexy. Et elle l’est d’autant plus parce que je ne sais pas la faire. Voilà finalement ce qui réveille un désir subtil au creux de mon estomac. Dans une époque où les femmes se battent pour être les égales des hommes sur tous les plans, où elles ont appris à être indépendantes et de moins en moins considérées comme des petites choses fragiles, trouver une réelle plus-value chez l’autre, ou susciter l’envie et l’admiration s’annonce une tâche de plus en plus ardue. Je reste souvent ébahie devant la douceur des gestes culinaires, devant la précision et le quasi-automatisme des professionnels : c’est un ballet naturel, une danse sensuelle qu’il est tout autant délicieux d’observer, que de déguster. D’ailleurs, je ne dois pas être la seule à ressentir ce genre d’émotions étant donné la masse de comptes Instagram de mecs torse nus qui donnent tout leur sens au terme « porn food », parfois de façon exagérément risible et qui explosent actuellement de popularité. 

Cette réflexion m’a faite sourire : à quel moment j’ai complètement décalé comme ça ? Impossible de vous le dire mais pour le coup, je suis assez satisfaite de mon constat : il me faut désormais bien plus qu’un corps quasi-dénudé en slow motion pour me mettre l’eau à la bouche. Il me faut une assiette de paëlla faite maison avec amour. Que le chef décide de rester en calbard, c’est son problème et c’est secondaire. À la trentaine, mon coeur s’est déplacé dans mon estomac. 

la marge.

Par Laurie Planes

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