J’crois que je connais la fille que tout le monde a déjà vue.

Puisque le jour de parution de cette newsletter tombe tout pile le jour de son anniversaire, je ne pouvais pas ne pas en faire le main character de cette Marge #7. Aujourd’hui j’ai décidé de vous raconter l’histoire de mon amitié la plus improbable, et ce que cette merveilleuse personne m’a appris sur moi-même.

la marge.
7 min ⋅ 26/11/2023

Je suis journaliste depuis 8 ans et si, aujourd’hui, j’ai totalement fait la peau à mon syndrome de l’imposteur, il n’en a pas toujours été ainsi. L’aspect de mon métier qui a m’a été le plus laborieux, c’est le contact à l’autre. Je me revois encore, perdue dans les rues, pendant un exercice banal de micro-trottoir, en galère à l’Assemblée Nationale pour recueillir des propos ou encore mal à l’aise en démarchant des spécialistes au téléphone pour un sujet. Bref, j’étais tétanisée. Je ne me sentais pas légitime de déranger les gens dans leur quotidien. D’ailleurs, ce point faible très clairement identifié est resté camouflé pendant la première année de ma carrière, où je me contentais de rédiger derrière mon ordinateur, article sur article, sans avoir l’impression de déranger quiconque. 

Mais un jour de janvier 2017, l’angoisse a fini par me rattraper. L’une de mes managers de l’époque m’apprend que je vais aller interviewer trois célébrités françaises dans l’après-midi, à la place de la personne prévue initialement sur le projet. Trois célébrités, en même temps. Nickel. On met entre mes mains un concept et des questions d’entretien sur un credo de « roule ma poule ». Terreur absolue. 

Me voilà, quelques heures plus tard, dans l’enceinte du Plaza Athénée, où se déroulait le junket (c’est comme ça que l’on appelle les successions d’interviews pour la promotion d’une sortie, organisées par les agences de communication), avec un taux de stress qui aurait fait claquer n’importe qui et l’impression dérangeante de ne pas être à ma place. Je deviens timide, impressionnée et je rassemble toutes les forces qu’il me reste pour cacher le tout. 

Je vais passer les détails mais l’entretien se passe très mal avec deux personnalités sur trois. Au milieu, une petite blonde, à l’énergie débordante, ravie de se prêter à un jeu d’interprétation après une journée à enchainer les questions classiques. Elle est comme une lueur d’espoir dans ce moment que je qualifie encore aujourd’hui de chaotique. Elle sourit, avec douceur et humanité. Mais ça n’a pas été suffisant pour contrebalancer l’impression d’échec que j’ai vécue ce jour-là. Une fois à l’extérieur du bâtiment, je pleure et je culpabilise. « J’aurais pu faire mieux », « peut-être que je n’avais pas l’air professionnelle », « peut-être qu’ils ont vu que j’étais une novice et que c’est pour ça que ça ne s’est pas bien passé » : voilà les pensées qui traversent mon esprit. La seule note positive de cette rencontre, c’est que j’ai eu le courage de demander à la chanteuse française une petite vidéo pour l’anniversaire de l’une de mes soeurs qui, à l’époque, ne jugeait que par elle. Je ne suis pas repartie bredouille, comme dirait l’autre. 

2017.2017.

Puis les années ont passé et ma phobie de l’interview s’est apaisée. J’ai toujours conservé un souvenir amer de ce moment mais j’y ai également puisé les enseignements pour ne plus jamais faire la même erreur et conduire mes entretiens avec les célébrités de la meilleure façon possible. Je ne peux pas nier que l’expérience a été formative, j’y ai appris la gestion de l’aplomb mêlé au respect du talent mais surtout l’art de l’échange humain.  Et même si je garde mon point de vue personnel sur celles et ceux qui ont été plus ou moins sympathiques, le résultat a toujours été probant. Job is done, et c’est tout ce qui compte. Je ne les rencontre pas pour devenir leur amie, je les rencontre pour mon travail.

Mais comme il y a toujours une exception qui confirme la règle… 

Nous sommes en octobre 2021 et j’apprends que j’obtiens une interview filmée avec cette célèbre chanteuse française qui avait participé, sans le vouloir, à l’un des moments décisifs de ma carrière quelques années auparavant. Je ne suis plus la même personne, j’ai confiance en moi et en mes capacités, et j’ai vu défiler plusieurs têtes qui m’ont anesthésiée de l’effet « impressionnée » qui pourrait déstabiliser la petite fille en moi. Je l’ajoute sur Instagram et je prépare mon interview pour tenter de la rendre la plus à l’aise possible. Spoiler alert : elle m’ajoute en retour dans les minutes qui suivent et non, elle n’avait absolument pas besoin que je la mette à l’aise. 

Cette fois-ci, on est dans les salons privés des Galeries Lafayette Champs Elysées, on va parler beauté et je drive l’intégralité de l’interview, réalisation vidéo y compris. Et je ne suis pas stressée pour un sou, simplement consciencieuse. Elle arrive en retard. À cette époque-là, je ne dis rien et je reste à ma place. Aujourd’hui, je la chambrerais probablement sans vergogne et je mangerais un doigt d’honneur manucuré et silencieux, sans aucune hésitation.

Mais ce n’est pas pour rien qu’on la surnomme « la tornade » car dès le moment où elle est entrée dans la pièce, l’énergie en a été décuplée. Elle est bavarde, rapide, intense. C’est simple, sur les 1h30 d’entretien initialement prévues, nous avons du travailler une trentaine de minutes. Les sujets anodins s’enchainent comme une partie de ping-pong et on a tendance, l’une comme l’autre, à disperser notre conversation qui part littéralement dans tous les sens. Point commun sur point commun, je me souviens pourtant le moment où elle a retenu mon attention à son paroxysme. Elle parlait de son anniversaire à venir, elle souhaitait le fêter à Disneyland. Je relève à voix haute, qu’elle est sagittaire et elle me demande en retour, mon signe astrologique. Je lui répond que je suis née le 20 mars, et que j’aurais du être poissons. Elle me coupe brutalement la parole en me disant « toi ? Tu n’es pas poissons ». Effectivement, je suis bélier. Comme sa fille. C’est à ce moment précis que je me suis dit d’elle « Cette fille, elle ne voit pas. Elle regarde. Elle n’entend pas, elle écoute ». Cela faisait tout juste 25 minutes qu’on discutait et elle avait déjà plus analysé ma personne que la moitié des gens que je connais depuis plusieurs années. 

Nous n’étions pas encore amies à ce stade mais j’ai senti la Rencontre, de celles qui peuvent être fracassantes. Et je n’avais pas tord (bien qu’elle aurait pu simplement être super sympa, l’histoire s’arrêtant là).

2021.2021. 

Les mois qui ont suivi ont vu des conversations digitales qui renouaient avec nos points communs : Taylor Swift, le make-up, les chats… Les vrais sujets de la vie, en somme.  Elle a réalisé l'un de mes rêves en me faisant rencontrer Ed Sheeran , j’ai réalisé l’un des siens en l’amenant au pressday Sephora (vous noterez que c’est complètement déconnecté de toute réalité cette affaire). Mais notre amitié a réellement vu le jour, selon moi, à la fin de l’année dernière lorsque j’ai traversé une période plutôt difficile. C’est étonnant comme les liens peuvent se créer lorsqu’on autorise certaines personnes à entrevoir notre propre fragilité. Sans le faire exprès, elle est devenue l’un des piliers de cette guérison.

La clé de cette amitié réside dans le fait qu’elle me ressemble assez pour que je puisse être moi-même en toute sécurité, mais qu’elle est assez différente de moi pour m’expulser (c’est tout à fait le mot, croyez-moi) de ma zone de confort afin que je puisse évoluer comme je le mérite. Durant cette période, des coups de téléphone durant des heures au milieu de la nuit, à parler de tout et de rien, surtout de rien. Des soirées à rire et à refaire le monde et surtout, beaucoup de discussions très intimes. C’est drôle, car je crois sincèrement qu’on a toutes les deux une forme similaire de pudeur. Notre honnêteté brutale pour dire ce qui gène n’est en fait que notre meilleure arme contre le monde extérieur. Et lorsqu’on doit se taire, c’est nos coeurs qui parlent fort. J’ai entrevu sa fragilité quelques fois. Sa vraie fragilité. Parce que moi aussi, je l’écoute et la regarde. C’est la rencontre curieuse de deux âmes à l’histoire différente mais à la même vérité, et c’est ce que je préfère chez elle, sa vérité. Au début, dès qu’elle s’apprêtait à me dire quelque chose qui allait résonner, elle me disait : « Tu ne vas pas aimer, c’est dur ce que je vais dire… » et à chaque fois je répondais « Dis-le, ce n’est pas dur, c’est honnête et c’est tout ce que j’attends d’une amie ».   

“You’re - NOT - on your own, kid”

Amie. L’une des meilleures que j’ai à ce jour selon mes propres critères dont les années qui passent ne font pas forcément partie. Chacun donne la définition qu’il souhaite au terme amitié. Chez moi, c’est un mot sacré qui surpasse les mots « amour » et « famille » et qui les réunit pourtant. Cette fille a été étonnée et touchée la première fois que je l’ai qualifiée ouvertement de « meilleure pote ». Je crois que même elle ne mesure pas l’impact qu’elle a eu dans ma vie. C’est simple, quand j’avais peur d’être fragile, elle m’a rappelée que c’est une vraie force. Quand j’étais en colère, elle m’a incitée à crier encore plus fort. Quand j’avais peur de faire quelque chose, elle m’a rappelée mon courage. Sans jamais douter, sans jamais me conforter dans le misérable ou la facilité. Elle a un emploi du temps qui ferait pâlir un ministre, mais elle a toujours quelques minutes pour te rappeler que tu comptes. L’ironie de cette newsletter, c’est qu’elle est la première à qui j’en ai parlé, au détour d’une pizza. Je souffrais de ne plus entendre ma propre voix dans ce que j’écrivais au quotidien et elle m’a littéralement poussée, de tous ses décibels, à montrer au monde - surtout à Internet - ce que j’avais sous la pédale. Aussi pudique sur les compliments qu’elle puisse être, quand elle en fait, ça vous percute légèrement. « T’es impressionnante quand tu fais ce que tu aimes, vas-y » équivaut à un « je t’aime, je suis là pour te soutenir » si vous lisez entre les lignes. Et pour lui répondre, à ma manière, je lui ai dédié le titre de la toute première Marge que j’ai publiée. « Jour 1, article numéro 1 ». 

À ce stade de votre lecture, vous vous posez probablement une question en particulier : est-ce qu’elle se souvenait de notre première rencontre ? Vaguement, mais assez pour m’apprendre que de son point de vue je n’avais l’air ni paniquée, ni novice. La tempête présente en moi ce jour-là ne s’est pas remarquée un seul instant. Non pas parce qu’ils n’y prêtaient pas attention, mais parce que, sans m’en rendre compte, j’avais réussi à rester dans ma mission. Et c’est risible de voir à quel point elle a mis le doigt sur ma capacité à me sous-estimer. Ce que je ne fais plus depuis qu’elle est dans ma vie.

Voilà ce qui fait d’elle une de mes amies les plus précieuses. Chacune des personnes qui compte à mes yeux m’a appris quelque chose de fondamental sur moi-même, de cette manière elles font toutes un peu partie de la personne que je suis aujourd’hui. Elle, elle me rappelle mon courage à travers le sien. 

J’ai lu un truc sur Instagram aujourd’hui qui disait « Le sagittaire et le bélier se soutiennent beaucoup quand il s’agit de briller ». Et que vous croyez à l’astrologie ou non, c’est un fait réel en ce qui nous concerne. Je ne fais pas partie de ses fans au sens propre du terme, même si j’ai toujours aimé écouter ses chansons et j’ai même pleuré sur certaines d’entre elles. En revanche, je suis extrêmement fière d’elle, de son talent et ce qu’elle accomplit sans perdre son humilité, son humanité et surtout, son honnêteté. Je suis la première à hurler les paroles de ses chansons pendant ses concerts, suggérer son nom lorsque je sais qu’elle sera parfaite pour quelque chose, et lui répéter que c’est une reine, dès que l’occasion s’y prête. Elle revient de loin, derrière les paillettes et elle n’a certainement pas fini sa course. 

Ce que je voulais mettre en avant dans cette newsletter c’est ce que vous ne verrez pas dans les articles qui la concernent sur les médias classiques, ni dans les propos recueillis dans les interviews filmées, même si je vous confirme que cette fille reste toujours elle-même dans chacune de ces occasions. 

Mais alors, c’est qui cette fille ? C’est Anne, la fille. Anne a 27 ans aujourd’hui. Et même si j’ai participé au pot commun d’un super cadeau, je tenais à lui offrir ce que j’ai de plus précieux : mes mots. 

Joyeux anniversaire ma douceur, sauce piquante.

2023.2023.

la marge.

Par Laurie Planes

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